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Regards croisés : Les Technologies de l'intelligence artificielle

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La recherche universitaire d’une part, l’application en entreprise d’autre part : deux pans essentiels des progrès de l’intelligence artificielle, qui appréhendent chacun à leur manière ce nouvel objet d’étude – ses implications éthiques, technologiques – pour en tirer tous les fils et continuer à innover. Interview croisée de deux acteurs majeurs du domaine.

 

David Cressey

 

David Cressey

Head of BeautyTech Accelerator - EMEA - Data & AI chez L'Oréal
Membre du Board d’aivancity

Quelles sont les compétences techniques exigées par le monde de l’entreprise en matière d’IA ?

Au début, on attendait des data scientists qu’ils soient capables de concevoir des modèles, de les mettre en production, d’en expliquer l’utilité à des non-spécialistes, le tout sans équipe et sans soutien de l’IT… Bien sûr cela n’existe pas, donc on a depuis diversifié les profils : il y a les researchers, qui travaillent sur la donnée propre, les experts machine learning, qui font de la production, les experts data, à mi-chemin entre la connaissance de la donnée et l’IT… Et il faut aussi, c’est très important, des profils pour faire la courroie de transmission entre toutes les compétences : des data translators ou business accelerators, qui comprennent la datascience, l’IT, les enjeux métiers, qui peuvent aussi présenter les résultats de la recherche aux organes exécutifs. Ces compétences évoluent par ailleurs en permanence : plus que des connaissances, il faut désormais transmettre aux étudiants un état d’esprit – il est essentiel qu’ils continuent, tout au long de leur carrière, à apprendre, à s’intéresser, à explorer des technologies dont on ignore encore tout aujourd’hui.

 

Comment L’Oréal utilise les technologies de l’IA aujourd’hui ?

Nous utilisons le machine learning pour de nombreuses applications. Qu’il s’agisse de prédire les tendances dans l’univers de la beauté et ainsi alimenter notre innovation produit ou bien de prévoir nos ventes afin d’organiser notre supply chain, la donnée est au cœur de nos projets. Afin de mieux comprendre nos clients, un de nos enjeux majeurs est aussi d’exploiter la masse de data colossale disponible en libre accès, par exemple les avis laissés en ligne : on identifie des informations clés pour les porter à la connaissance des équipes produits et alimenter notre objectif d’excellence. On travaille également avec de la reconnaissance d’image pour permettre à nos clients de projeter l’effet attendu d’un produit sur leur visage, ou encore pour analyser leurs rides, taches brunes éventuelles : on peut ensuite proposer un diagnostic et une routine beauté adaptée aux besoins de chacun.

 

Quelles sont les technologies qui prendront de l’importance dans les prochaines années ?

Après le traitement de la donnée structurée, on s’intéresse désormais à la donnée non structurée, c’est-à-dire l’image et le texte. Pour l’image, on a déjà des technologies d’IA matures qui permettent de segmenter, repérer, générer des objets. On est en train d’arriver à un stade de maturité presque équivalent sur les données textuelles : l’enjeu est de comprendre le texte, de traiter le langage naturel même s’il est lacunaire ou imprécis, et de répondre de façon automatisée. L’IA sera ainsi capable d’interagir. En mettant bout à bout des modèles qui exécutent des tâches élémentaires, on se rapproche de l’intelligence humaine... Sauf que l’intelligence humaine est non supervisée, elle apprend toute seule : le bébé n’attend pas qu’on lui explique comment se nourrir, marcher, parler, il le découvre de lui-même en s’essayant au monde qui l’entoure. L’intelligence artificielle est encore très loin de ça. Un outil de modélisation qui s’approche le plus de cette méthode serait l’apprentissage par renforcement, qui entraîne des IA en recourant à l’expérimentation (je suis un robot, j’apprends à traverser, je me ferai renverser 1 500 fois mais à la fin j’y arriverai). Pour moi, ce sera extrêmement important dans les années à venir.

El fallah

Amal El Fallah Seghrouchni

Professeure à Sorbonne Université spécialisée en intelligence artificielle,
Membre de la Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies (COMEST) de l'UNESCO
Membre du comité scientifique d’aivancity
Membre du Board d’aivancity

Quelles sont les compétences techniques exigées par le monde de la recherche en matière d’IA ?

En plus des connaissances techniques en mathématiques et en informatique dispensées dans les cursus actuels, les futurs chercheurs en IA doivent développer des soft skills et beaucoup d’intuition. Il est important, dans cette nouvelle ère où l’IA est présente partout et s’applique dans de nombreux domaines, de disposer de capacités de travail en équipes, d’avoir le sens de l’écoute, de l’ouverture d’esprit et du dialogue. L’IA est aujourd’hui porteuse de pluridisciplinarité, de solutions innovantes et disruptives. C’est pour cela qu’il faudra favoriser des approches collaboratives.

 

Quelle est la situation aujourd’hui en matière de biais des algorithmes ? Et quelles solutions ?

Certains algorithmes de l’IA peuvent en effet fournir des solutions incomplètes ou erronées du fait de différents biais. Les biais cognitifs génèrent une distorsion par rapport à une réalité, et peuvent conduire à des pratiques discriminatoires à l’encontre de personnes. Les biais statistiques ou de données, comme les biais de sélection, apparaissent quand les caractéristiques de la population étudiée sont différentes de celles de la population générale. Les biais d’endogénéité interviennent quand il s’agit de prédire à partir de données du passé sans prendre en compte des évolutions futures ou des variations inattendues. Enfin, les biais économiques, volontaires ou pas, peuvent être observés quand les algorithmes ne ciblent que certains segments de la population, ou quand ils sont utilisés pour manipuler les consommateurs (comme la search engine manipulation).

Les solutions de demain doivent prendre en compte ces risques de biais et lutter contre leur apparition ou instrumentalisation. Il faut repenser l’IA pour un usage résilient, égalitaire et éthique. Les bonnes pratiques seraient :

  • d’avoir des données fiables et bien calibrées ;
  • de s’assurer de la validité des procédures d’apprentissage statistique (hypothèses et règles de décision utilisées) ;
  • de garantir la transparence, la loyauté et l’équité des algorithmes de décision (algorithmes par exemple de recommandation, de recrutement, de diagnostic... )

 

L'IA peut-elle aider à combattre les virus ?

Pendant cette crise sanitaire, l’IA a permis de créer des applications mobiles pour sensibiliser les populations et les aider à rester connectées ; des services dématérialisés (B2B ou B2C) et des plateformes d'échange pour pallier le confinement et assurer la continuité de service (télétravail, enseignement à distance...) ; déployer des drones pour informer et protéger des citoyens, ou assurer des consultations en télémédecine, automatiser la prise de décision, guider des ambulances pour atteindre les hôpitaux le plus vite possible, planifier dans l'incertain la prise en charge d'un patient en cas d'urgence... D'autres méthodes statistiques basées sur l'apprentissage automatique, notamment les réseaux de neurones et l'apprentissage profond, permettent enfin de prédire la propagation de l'épidémie en fonction des données recueillies.