Et si l’avenir des réseaux sociaux ne reposait plus sur les créateurs humains, mais sur des intelligences artificielles capables de générer sans fin des vidéos, des tendances et même des influenceurs virtuels ? C’est la rumeur qui circule autour d’OpenAI : l’entreprise, déjà au cœur de la révolution des modèles de langage et d’image, plancherait sur une plateforme vidéo générative, pensée comme une alternative à TikTok.
L’idée est audacieuse. Là où TikTok s’appuie sur la créativité des utilisateurs et la puissance de son algorithme de recommandation, OpenAI pourrait aller plus loin en produisant elle-même les contenus via ses modèles multimodaux. Imaginez un flux infini de vidéos courtes, scénarisées, montées et incarnées par des avatars artificiels, capables d’imiter les codes viraux de la culture numérique.
Cette hypothèse soulève des enjeux vertigineux : quelles seraient les implications pour l’économie de l’attention, pour les créateurs de contenus, pour la régulation des médias sociaux ? Une telle plateforme marquerait-elle la naissance d’un réseau social artificiel, où les humains ne seraient plus que spectateurs ?
Un flux généré de toutes pièces
Ce projet s’appuierait sur les progrès récents des modèles multimodaux : textes, images, voix et vidéos peuvent désormais être générés par un même système. Concrètement, un utilisateur pourrait demander : « Montre-moi une vidéo drôle avec un personnage qui danse sur un volcan », et voir apparaître, en quelques secondes, une séquence parfaitement cohérente, portée par un avatar artificiel.
Ce flux ne dépendrait plus de l’offre humaine, mais d’un réservoir infini de contenus générés à la demande, ou même anticipés par l’IA selon les préférences implicites de l’utilisateur. La personnalisation deviendrait quasi totale, chaque spectateur recevant un flux unique, conçu sur mesure.
L’opportunité est immense : TikTok revendique plus de 1,7 milliard d’utilisateurs actifs mensuels en 2025, qui y passent en moyenne 95 minutes par jour1. Reproduire ce modèle en internalisant la production grâce à l’IA permettrait à OpenAI de se positionner sur un marché colossal, dominé par l’économie de l’attention.
La fin du rôle central des créateurs humains ?
La grande rupture d’un tel projet réside dans la place accordée aux humains. TikTok et Instagram Reels prospèrent grâce à des créateurs qui produisent, expérimentent et animent leurs communautés. Dans un TikTok artificiel, ces créateurs seraient remplacés par des avatars virtuels, programmés pour séduire, émouvoir ou divertir.
Cette idée n’est pas si lointaine. Le marché des influenceurs virtuels existe déjà : selon Allied Market Research, il pesait 21 milliards de dollars en 2024, et devrait croître de plus de 35 % par an jusqu’en 20302. Des personnages artificiels comme Lil Miquela ou Imma, suivis par des millions de personnes, montrent que le public est prêt à s’attacher à des identités fictives.
Si OpenAI lance une telle plateforme, il pourrait créer des centaines, voire des milliers de « stars artificielles », chacune optimisée pour capter un segment d’audience précis. De quoi marginaliser le rôle des créateurs humains, ou les pousser à collaborer avec des IA pour exister dans cet écosystème.
Une opportunité économique… et un risque pour l’attention
Le marché de la vidéo courte pèse lourd. D’après Fortune Business Insights, il pourrait atteindre 475 milliards de dollars d’ici 20303,largement porté par la publicité ciblée et les contenus sponsorisés. En contrôlant à la fois la génération et la diffusion des vidéos, OpenAI pourrait capter non seulement l’attention, mais aussi la chaîne de valeur publicitaire entière.
Mais cette perspective inquiète. Un flux illimité de vidéos artificielles, calibrées en permanence pour maximiser le temps d’écran, pourrait amplifier les critiques déjà formulées contre les réseaux sociaux : addiction, perte de concentration, saturation cognitive. Dans un monde où les vidéos sont optimisées par IA, l’attention humaine deviendrait plus que jamais une ressource exploitée à grande échelle.
L’ombre de la désinformation et du faux
Un tel projet ne serait pas exempt de risques sociétaux. Si l’IA peut générer du divertissement léger, elle peut aussi créer du contenu trompeur. La multiplication de vidéos indiscernables du réel ouvrirait la porte à des campagnes massives de désinformation. Les deepfakes, déjà problématiques, deviendraient monnaie courante dans un environnement où chaque vidéo est artificielle.
Des garde-fous technologiques, comme le filigrane numérique ou les systèmes de traçabilité, seraient indispensables. Mais leur efficacité reste relative : en 2023 déjà, une étude de l’Université de Cambridge montrait que 72 % des utilisateurs avaient des difficultés à distinguer un deepfake d’une vidéo authentique4.
La transparence devient alors un enjeu majeur : comment informer clairement l’utilisateur que ce qu’il regarde n’a pas été créé par un humain ? Et surtout, cela changera-t-il réellement son rapport au contenu ?
Vers une « société du flux artificiel » ?
Ce projet illustre une tendance plus large : la montée en puissance de ce que certains chercheurs appellent la société du flux artificiel. Dans ce modèle, l’IA ne se contente plus de recommander des contenus créés par des humains ; elle en devient la principale productrice. La culture numérique s’alimente alors à une source algorithmique, plutôt qu’à l’inventivité collective.
La question devient alors philosophique : préférons-nous du contenu vrai, limité, parfois imparfait, ou du contenu artificiel, illimité et toujours calibré ? L’authenticité reste une valeur forte, mais la puissance de l’IA pourrait redéfinir les attentes : non plus « vrai », mais « engageant ».
Ce basculement interroge le rôle même de la créativité humaine dans l’économie de l’attention. Demain, nos flux vidéo seront-ils encore le reflet de nos sociétés, ou l’expression d’algorithmes façonnant nos imaginaires collectifs ?
Références
1. Statista. (2025). TikTok user statistics worldwide.
https://www.statista.com/statistics/1267892/tiktok-global-users/
2. Allied Market Research. (2024). Virtual Influencer Market Size and Forecast.
https://www.alliedmarketresearch.com/virtual-influencer-market
3. Fortune Business Insights. (2024). Short Video Market Size, Share & Forecast.
https://www.fortunebusinessinsights.com/short-video-market-10452
4. University of Cambridge. (2023). Deepfake detection challenges.
https://www.cam.ac.uk/research/news/deepfake-detection-study