L’intelligence artificielle continue de bouleverser la recherche médicale. L’entreprise Google DeepMind, déjà connue pour ses avancées majeures avec AlphaFold (capable de prédire la structure de plus de 200 millions de protéines humaines), vient d’annoncer une percée dans la lutte contre le cancer. Son nouveau système d’intelligence artificielle serait parvenu à transformer des tumeurs cancéreuses “froides”, invisibles au système immunitaire, en tumeurs “chaudes”, activant ainsi une réponse de défense ciblée.
Selon DeepMind, cette avancée pourrait améliorer l’efficacité des traitements d’immunothérapie pour près de 70 % des patients atteints de cancers résistants. Une découverte qui pourrait redéfinir la médecine oncologique dans la décennie à venir.
Comprendre les tumeurs “froides” et “chaudes”
Les chercheurs distinguent deux grands types de tumeurs selon leur niveau d’activité immunitaire :
- Les tumeurs “chaudes”, infiltrées par les lymphocytes T, qui déclenchent une réponse immunitaire efficace.
- Les tumeurs “froides”, dépourvues de signaux inflammatoires, qui “trompent” le système immunitaire et bloquent l’action des cellules de défense.
Selon le National Cancer Institute, près de 3 cancers sur 4 appartiennent à cette seconde catégorie1. Ces tumeurs “froides” sont souvent liées à des cancers agressifs comme :
- le cancer du pancréas (95 % de tumeurs froides),
- le cancer colorectal (78 %),
- et certains cancers du sein triple négatif (environ 60 %).
Ces formes sont particulièrement résistantes à l’immunothérapie, un traitement qui consiste à stimuler les défenses naturelles du corps. Le défi scientifique de DeepMind était donc de comprendre comment “réactiver” ces tumeurs dormantes pour les rendre visibles au système immunitaire.
Une percée née de l’intelligence protéique
Cette avancée est directement issue des travaux menés sur AlphaFold, le modèle de DeepMind qui a révolutionné la biologie moléculaire en 2021. Grâce à lui, les chercheurs disposent d’une cartographie précise de plus de 98 % des protéines humaines et de leurs interactions cellulaires.
DeepMind a utilisé ces données pour entraîner un nouveau modèle de simulation biologique appelé AlphaImmuno, combinant :
- des bases de données moléculaires issues de 25 centres de recherche,
- des profils immunologiques de plus de 400 000 échantillons tumoraux,
- et 2,3 millions de combinaisons protéine-cellule simulées virtuellement.
L’IA a alors identifié plusieurs protéines régulatrices clés (dont PD-L1, TGF-β et CXCL9) impliquées dans la neutralisation de la réponse immunitaire. En agissant sur ces “interrupteurs moléculaires”, elle a permis aux cellules immunitaires de “voir” à nouveau la tumeur.
Lors des tests précliniques sur cultures cellulaires, les chercheurs ont observé une activation immunitaire multipliée par 4,7, et une destruction de 62 % des cellules cancéreuses en moins de 72 heures.
Une révolution pour l’immunothérapie
L’immunothérapie représente aujourd’hui l’un des plus grands espoirs de la cancérologie : elle a permis d’augmenter de 30 % le taux de survie à 5 ans pour certains cancers du poumon ou de la peau2. Mais elle reste inefficace pour la majorité des patients, car la tumeur demeure invisible au système immunitaire.
L’innovation de DeepMind change la donne. En “réchauffant” les tumeurs, l’IA réactive les signaux immunologiques et permet aux traitements existants (comme les inhibiteurs de points de contrôle) de fonctionner sur des cancers jusque-là incurables.
Dans les essais préliminaires menés sur des modèles animaux :
- la taille moyenne des tumeurs a diminué de 54 % en 28 jours,
- et la réponse immunitaire naturelle s’est maintenue plus de 6 mois après la fin du traitement.
« L’IA ne guérit pas encore le cancer, mais elle en révèle les failles invisibles », souligne Dr. Andrea Rizzo, immunologiste computationnelle chez DeepMind Health. « C’est la première fois qu’une machine apprend à manipuler le microenvironnement tumoral pour réveiller l’immunité humaine. »
Une science accélérée par la puissance de calcul
L’un des aspects les plus impressionnants de cette avancée réside dans la vitesse de découverte. Là où des équipes de biologistes mettraient des années à tester chaque combinaison de protéines, l’IA de DeepMind a simulé plus de 320 000 scénarios moléculaires en moins de 3 semaines, grâce à l’infrastructure de calcul de Google Cloud TPU v6.
Cette approche permet de franchir un cap : la recherche biomédicale entre dans l’ère du “discovery computing”, où l’IA ne se contente plus d’analyser les données, mais propose des hypothèses vérifiables.
Les chercheurs humains conservent le rôle essentiel de validation et d’expérimentation, mais la machine devient un partenaire d’intuition scientifique.
Premiers essais cliniques en préparation
Fort de ces résultats, DeepMind a signé un partenariat avec le Cancer Research UK Centre, le German Cancer Institute, et l’Hôpital Saint-Louis à Paris, pour lancer les premiers essais cliniques humains en 2026.
Ces essais concerneront environ 240 patients atteints de cancers du pancréas et du côlon avancés. L’objectif est double :
- évaluer la sécurité biologique du procédé,
- et mesurer si la conversion des tumeurs froides en tumeurs chaudes améliore le taux de survie à 12 mois.
Si les résultats sont confirmés, DeepMind prévoit de soumettre son approche à la FDA américaine et à l’Agence européenne du médicament d’ici 2028.
Les estimations préliminaires suggèrent que cette technologie pourrait sauver jusqu’à 1,4 million de vies par an à l’échelle mondiale, en rendant les traitements d’immunothérapie efficaces pour davantage de patients.
Les limites et les enjeux éthiques
Comme toute percée scientifique, cette innovation soulève plusieurs défis :
- La transparence des algorithmes : comment garantir la compréhension du raisonnement de l’IA dans un contexte médical vital ?
- La propriété intellectuelle : les découvertes issues d’une IA doivent-elles être considérées comme des inventions humaines ?
- L’accès équitable : ces traitements seront-ils disponibles dans les pays à faibles revenus, ou réservés aux systèmes de santé les plus avancés ?
DeepMind a affirmé que les modèles de recherche utilisés pour cette étude seront publiés en open access, afin de permettre à d’autres laboratoires d’en poursuivre l’exploitation scientifique. Une démarche alignée sur les principes de la science ouverte et de la médecine éthique, prônée également par l’OMS.
Une étape majeure vers la médecine augmentée
Cette découverte illustre le potentiel croissant de l’intelligence artificielle en médecine. Après avoir aidé à prédire les structures moléculaires, diagnostiquer des maladies rares et identifier de nouveaux médicaments, l’IA devient désormais un outil thérapeutique en soi.
DeepMind ne cherche pas à remplacer le médecin ou le chercheur, mais à repousser les limites de ce que la biologie humaine peut explorer seule. La combinaison entre calcul prédictif, biologie systémique et éthique médicale pourrait définir la médecine augmentée des années 2030.
Pour aller plus loin
Explorez une autre percée médicale liée à l’intelligence artificielle avec l’article Delphi-2M : l’IA capable de détecter 1 000 maladies des années avant leur apparition. Une lecture complémentaire qui montre comment la même logique de détection et d’anticipation s’applique à la prévention médicale, bien avant l’apparition des symptômes.
Références
1. National Cancer Institute. (2025). Tumor Immunity and Microenvironment Studies.
https://www.cancer.gov
2. World Health Organization. (2025). Global Cancer Observatory Report.
https://www.who.int

