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Une coopération stratégique pour une IA éthique et inclusive : le tournant franco-indien

Par Pr Nathalie DEVILLIER Docteur en Droit International | Professeur Droit et éthique de l’IA à aivancity

Au-delà des annonces spectaculaires du Sommet pour l’Action sur l’IA à Paris en février 2025, la coopération franco-indienne sur l’intelligence artificielle se démarque par une vision partagée, des engagements concrets et une stratégie d’innovation durable. Ce partenariat stratégique repose sur des axes clairs : gouvernance éthique, recherche ouverte, inclusion sociale et souveraineté technologique.

Parmi les engagements majeurs pris lors du sommet de l’IA 2025, figurent la création d’une plateforme publique d’IA, le lancement d’un Observatoire sur l’impact énergétique de l’IA piloté par l’Agence internationale de l’énergie, ainsi qu’un réseau d’observatoires sur l’emploi. En parallèle, la France a annoncé un plan de 109 milliards d’euros pour soutenir les infrastructures, la formation et la recherche. L’Union européenne a présenté « InvestAI », un programme doté de 200 milliards d’euros, destiné à soutenir la souveraineté numérique et technologique du continent.

La présence conjointe d’Emmanuel Macron et de Narendra Modi à la tête du sommet a symbolisé un tournant dans les relations entre la France et l’Inde sur les questions technologiques. Les deux pays ont affirmé une vision partagée : utiliser l’IA pour répondre aux défis sociétaux majeurs, tels que la santé, l’éducation, la gestion des catastrophes, l’agriculture durable ou encore la lutte contre le changement climatique.

Cette convergence s’est traduite par l’adoption d’une déclaration conjointe qui pose les bases d’un partenariat technologique de long terme. La France et l’Inde y soulignent leur engagement à élaborer des normes internationales d’IA respectueuses des droits humains et à promouvoir la transparence des algorithmes. Elles réaffirment également leur volonté de soutenir les ressources ouvertes, la diversité linguistique et les modèles de langage publics, afin d’éviter la centralisation technologique au profit de quelques acteurs.

La France et l’Inde ne se contentent pas d’échanges diplomatiques : leur partenariat se matérialise par des investissements croisés, des projets communs et des perspectives ambitieuses. L’Année France-Inde de l’Innovation, prévue pour 2026, incarnera cette dynamique de coopération renforcée. Cette initiative favorisera les synergies entre laboratoires de recherche, start-ups, industriels et institutions publiques. L’accent sera mis sur la souveraineté technologique, la montée en puissance des capacités de calcul, et le développement de composants critiques.

D’ores et déjà, des projets industriels sont lancés dans les domaines des semi-conducteurs, des data centers et des supercalculateurs. La France mise sur la complémentarité entre ses infrastructures énergétiques bas carbone et les compétences informatiques de l’Inde. Cette complémentarité devrait permettre aux deux pays de s’affirmer comme des acteurs crédibles dans l’élaboration d’une IA responsable sur la scène internationale.

L’Inde a également été choisie pour accueillir la prochaine édition du sommet sur l’IA, consolidant ainsi son rôle de partenaire stratégique et de moteur d’un multilatéralisme numérique équilibré. Cette décision prolonge l’élan insufflé à Paris et confirme la volonté partagée de poursuivre un dialogue ouvert sur la gouvernance, l’inclusion et l’innovation.

  • Réservoir massif de talents formés à l’IA (600 000 personnes/an)
  • Écosystème de start-ups orienté cas d’usage
  • Infrastructures publiques numériques puissantes (India Stack, DEPA)
  • R&D de haut niveau et production de modèles d’IA souverains
  • Leadership en IA éthique, cybersécurité, régulation
  • Expertise en protection des données et en gouvernance de l’IA

La formation constitue un autre pilier de cette alliance. Les deux pays ambitionnent de former massivement les jeunes aux compétences en intelligence artificielle, et de requalifier les travailleurs dans les secteurs impactés par l’automatisation. L’objectif est double : anticiper les mutations du marché du travail et garantir une répartition équitable des bénéfices de l’IA. Ce projet est d’autant plus stratégique que l’Inde dispose d’une population jeune en pleine croissance, tandis que la France cherche à renforcer sa base de talents technologiques.

Dans cette perspective, il est essentiel d’amplifier le soutien aux projets indo-français d’IA appliquée, en particulier dans des domaines prioritaires tels que la santé publique, l’agriculture durable et l’adaptation au changement climatique.

En parallèle, la mise en place de masters conjoints et de doubles diplômes en IA et data science renforcerait la formation de talents biculturels, capables de naviguer entre les exigences technologiques et les cadres juridiques et éthiques internationaux.

Enfin, il convient de favoriser les mobilités croisées, à travers des programmes de bourses, de thèses en cotutelle et de séjours d’enseignants-chercheurs. Ces échanges doivent aller dans les deux sens, en facilitant l’accueil de talents indiens en France mais aussi l’implantation de chercheurs français dans les hubs technologiques indiens.

Alors que l’Inde privilégie une approche technique de la gouvernance de l’IA (outils d’audit, privacy-by-design, diversité linguistique, génération de données synthétiques), le cadre juridique reste encore peu structuré. En revanche, la France bénéficie d’une expérience réglementaire solide (RGPD et règlement européen sur l’IA – AI Act), fondée sur la défense des droits fondamentaux.

La France pourrait ainsi accompagner l’Inde dans l’élaboration de son futur cadre de régulation sur l’IA, en partageant ses méthodologies d’évaluation des risques et ses bonnes pratiques en matière d’IA éthique. Cela pourrait se traduire par des ateliers conjoints, des tests communs de régulateurs, ou des travaux sur l’interopérabilité des cadres.

Par ailleurs, la France et l’Inde gagneraient à tester et déployer ensemble des standards internationaux en matière d’audit, de certification éthique ou de sécurité des systèmes. En participant activement aux enceintes multilatérales comme l’OCDE, le G20 ou les Nations Unies, les deux pays peuvent porter une vision commune d’une IA respectueuse des diversités culturelles, inclusive par conception, et au service du développement durable.

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