Et si demain, votre assistant conversationnel ne vivait plus dans une boîte noire, mais sur votre nez ? C’est la rumeur persistante qui agite la Silicon Valley : Sam Altman, PDG d’OpenAI et figure centrale de l’essor de l’intelligence artificielle générative, envisagerait de lancer une paire de lunettes connectées, dopées à l’IA. Après les claviers, les microphones et les écrans tactiles, la voix intérieure de ChatGPT pourrait bientôt murmurer directement dans l’oreille de ses utilisateurs.
Cette idée, à la croisée des chemins entre l’informatique vestimentaire, la vision par ordinateur et l’agent conversationnel, n’est pas nouvelle. D’autres s’y sont cassé les dents, de Google Glass à Snap Spectacles. Mais l’arrivée d’un acteur comme OpenAI dans ce domaine relance les spéculations : avec ses modèles linguistiques avancés et ses ambitions matérielles, l’entreprise aurait les moyens de réinventer une catégorie entière d’interfaces.
Au cœur de ce projet potentiel se joue un changement de paradigme : faire de l’IA une présence permanente, contextualisée, accessible sans friction. Plus besoin de l’invoquer : elle serait là, tout le temps, attentive à ce que vous voyez, entendez, cherchez à comprendre.
Une discrète montée en puissance vers le hardware
OpenAI n’a pas officiellement annoncé de lunettes connectées, mais les indices s’accumulent. D’après The Information, la société aurait signé des partenariats avec des fabricants de composants électroniques comme Luxshare et Goertek, tous deux fournisseurs historiques d’Apple1. D’autres sources évoquent un travail conjoint avec Jony Ive, l’ancien designer star d’Apple, pour concevoir un appareil portable à la fois élégant, discret et performant.
Si Sam Altman a récemment déclaré que le premier produit matériel d’OpenAI ne serait « pas une paire de lunettes intelligentes », les contours du projet restent flous. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que la société recrute activement dans le domaine du hardware, du design industriel et de la miniaturisation optique. Une stratégie qui fait écho à celle de Humane, start-up fondée par d’anciens d’Apple, dont le « AI Pin » a suscité un intérêt modéré mais réel.
L’idée n’est pas de concurrencer frontalement les smartphones, mais de proposer un complément : une interface plus naturelle, mains libres, capable de capter l’environnement visuel et sonore en continu, et de fournir des réponses, conseils ou annotations via un assistant IA embarqué.
Une opportunité technique, économique et cognitive
Le marché des lunettes intelligentes reste naissant mais prometteur. Selon Grand View Research, il pourrait atteindre plus de 21 milliards de dollars dès 2025, avec une croissance annuelle de 15 % jusqu’à la fin de la décennie2. Les usages visés sont multiples : aide à la navigation, traduction en temps réel, reconnaissance d’objets ou de visages, support à la prise de décision dans des contextes professionnels.
Dans ce contexte, la valeur ajoutée d’un modèle comme ChatGPT réside dans sa capacité à contextualiser. Là où des lunettes connectées classiques se contentent de capter et d’afficher, un agent IA peut interpréter, synthétiser, formuler des hypothèses, voire anticiper une intention. Imaginez des lunettes capables de vous résumer un document simplement en le regardant, de vous aider à répondre à un email, ou de vous rappeler le nom d’un interlocuteur croisé il y a six mois.
C’est aussi un pari économique. L’essor des wearables, dopé par la banalisation des montres intelligentes (près de 40 millions d’unités vendues au second trimestre 20253), montre qu’un public existe pour des objets connectés à haute valeur d’usage. OpenAI, en intégrant l’IA directement dans un produit de ce type, pourrait s’affranchir de la dépendance aux plateformes existantes — et proposer sa propre couche matérielle, à l’image de ce qu’a fait Apple avec l’iPhone ou Meta avec ses lunettes Ray-Ban.
Une interface plus humaine… ou plus intrusive ?
Derrière l’innovation technique, les questions éthiques surgissent rapidement. Une paire de lunettes équipée de microphones et de caméras, reliée à un agent conversationnel, soulève des enjeux massifs en matière de vie privée. Qui entend quoi ? Qui voit quoi ? Et surtout, que fait l’IA de ce qu’elle perçoit ?
Le risque de captation non consentie, notamment dans les lieux publics ou professionnels, est bien réel. L’histoire des Google Glass l’a montré : l’absence de signalisation claire de l’enregistrement avait suscité un rejet quasi instantané. OpenAI devra faire mieux, en intégrant des indicateurs visibles, en donnant à l’utilisateur un contrôle total sur les flux de données, et en respectant les cadres juridiques comme le RGPD.
Un autre enjeu tient à l’équilibre cognitif. Une IA omniprésente, proactive, pourrait induire une forme de dépendance subtile, de désengagement attentionnel, voire d’assistance permanente qui affaiblit la mémoire ou la capacité de concentration. La question n’est pas seulement technologique, elle est aussi cognitive et pédagogique : quel rôle voulons-nous confier à l’IA dans notre quotidien immédiat ?
Une course stratégique vers les interfaces de demain
OpenAI n’est pas seul dans la course. Meta, avec ses Ray-Ban Meta, propose déjà un assistant vocal intégré à des lunettes, avec prise de photos, diffusion en direct et assistant IA limité. Amazon expérimente des lunettes à Alexa intégrée. Et Apple, avec son casque Vision Pro, a ouvert la voie à des interfaces immersives de nouvelle génération.
Mais l’ambition d’OpenAI semble différente. Il ne s’agit pas de réalité augmentée, ni de superposition graphique. Il s’agit d’une IA capable de comprendre votre contexte, d’agir sur la base de ce que vous vivez, et de répondre de façon personnalisée, sans écran. Une IA qui voit ce que vous voyez, entend ce que vous entendez, et parle quand vous le décidez.
Si ce projet voit le jour, il marquera une nouvelle phase dans la cohabitation entre humains et intelligences artificielles. Une phase où l’IA ne sera plus seulement un outil, mais un compagnon cognitif mobile, silencieux, invisible (mais toujours là).
Pour aller plus loin
Précédemment sur ce blog, nous avons analysé comment les dispositifs IA embarqués redéfinissent notre rapport aux interfaces. Lisez : Ray-Ban Meta : voir, parler, interagir… l’Intelligence Artificielle s’invite sur votre nez
Références
1. The Information. (2025). OpenAI exploring smart device with Apple suppliers.
https://www.theinformation.com/articles/openai-partners-with-apple-suppliers-to-develop-smart-device
2. Grand View Research. (2024). Smart glasses market size and trends.
https://www.grandviewresearch.com/industry-analysis/smart-glasses-market
3. Statista. (2025). Wearable tech: unit shipments worldwide.
https://www.statista.com/statistics/490231/global-wearable-device-shipments/