Articles

PSG, champion d’Europe :la victoire des intelligences humaines sur l’intelligence artificielle

Par Dr. Tawhid CHTIOUI, Président-fondateur d’aivancity, la Grande Ecole de l’IA et de la Data

On dit souvent que l’intelligence artificielle finira par nous dépasser. Qu’elle analyse mieux, décide plus vite, apprend sans relâche. Et si ce que l’on appelle « intelligence » n’était en fait qu’un fragment, et que l’essentiel échappait aux machines ?

Dans un monde fasciné par les prouesses algorithmiques, où l’on mesure la performance à l’aune de la vitesse de calcul et de la capacité prédictive, un événement inattendu vient rappeler ce que l’IA ne sait toujours pas faire. Le 31 mai 2025, le Paris Saint-Germain entre dans la légende en remportant pour la première fois la Ligue des champions. Une victoire éclatante cinq buts à zéro face à l’Inter Milan. Un match que les statistiques annonçaient plus incertain, mais que le terrain a transformé en démonstration.

Depuis la publication du rapport de McKinsey (2017) sur les perspectives d’automatisation du travail, ou celui du MIT-IBM Watson AI Lab (2023) sur l’avenir de la complémentarité homme-machine, un constat s’impose : l’IA excelle dans certaines fonctions cognitives bien définies, notamment l’analyse de données, la reconnaissance de motifs et l’optimisation algorithmique. En d’autres termes, elle est puissante là où prévaut l’intelligence analytique, concept que Robert Sternberg identifie comme l’une des trois formes majeures d’intelligence dans sa théorie triarchique (1985). Or, si l’intelligence analytique est mobilisable par des machines, les autres, émotionnelle, collective, situationnelle, relationnelle, restent profondément humaines.

Le parcours du PSG version Luis Enrique n’est pas seulement un exemple de performance sportive. Il incarne une orchestration fine de compétences humaines irréductibles à l’algorithme : la capacité à ressentir et canaliser les émotions sous pression, à créer de la confiance au sein d’un collectif, à s’adapter tactiquement à des contextes mouvants, à innover dans le jeu, à comprendre intuitivement les autres. C’est ce maillage d’intelligences multiples, au sens où les définit Howard Gardner dans sa théorie fondatrice (1983), qui a permis l’excellence. Et c’est aussi ce que notre société oublie parfois, obnubilée par la montée en puissance des modèles de langage et de décision.

Dans un monde fasciné par l’IA, peut-être est-il temps de rappeler que l’intelligence humaine n’est ni unique ni uniformément reproductible. À travers la victoire du PSG, cet article se propose de revisiter cinq formes d’intelligences fondamentales en montrant pourquoi, et comment, elles demeurent notre avantage décisif à l’heure des intelligences artificielles.

Ce qui frappe en premier dans le parcours du PSG version Luis Enrique, c’est la transformation d’une somme d’individualités brillantes en une entité cohérente, solidaire, presque organique. Dans un sport où l’on célèbre souvent les exploits isolés, cette équipe a choisi une autre voie : celle de l’intelligence collective. Il ne s’agit pas simplement de jouer ensemble, mais de penser ensemble, d’anticiper les intentions de l’autre sans se parler, de construire des mouvements fluides où chacun sait se fondre dans le rythme commun. Une forme d’intelligence émergente, que les chercheurs comme Pierre Lévy décrivent comme une capacité du groupe à produire du sens, à résoudre des problèmes complexes, au-delà de la somme des compétences individuelles.

Ce PSG ne s’est pas contenté d’additionner des talents. Il les a mis en relation, dans un système où la passe, le déplacement, la couverture défensive sont autant d’expressions d’une pensée partagée. On l’a vu face à Machester City, quand le pressing collectif déclenché au bon moment a désarmé le jeu de possession adverse. Ou en finale, quand les permutations entre les milieux et les attaquants ont ouvert des brèches invisibles à l’œil nu mais parfaitement anticipées par les joueurs. Rien de cela ne peut être reproduit par une machine. Car l’intelligence collective suppose la confiance, l’adaptation en temps réel, l’expérience vécue ensemble. Elle repose sur du lien humain, pas sur des lignes de code.

Un autre exemple marquant de cette intelligence collective est la performance d’Ousmane Dembélé lors de la finale. Malgré son statut de favori pour le Ballon d’Or, Dembélé a mis de côté ses ambitions personnelles pour se consacrer entièrement au collectif. Son pressing constant et ses deux passes décisives ont été déterminants dans la victoire du PSG, illustrant parfaitement son engagement envers l’équipe.

Si l’intelligence collective tisse les liens du jeu, l’intelligence émotionnelle en est le moteur invisible. Elle permet aux joueurs de naviguer dans les eaux tumultueuses des émotions, de transformer le stress en énergie constructive et de maintenir la clarté d’esprit sous pression. Daniel Goleman, qui a popularisé le concept, la décrit comme la capacité à reconnaître, comprendre et gérer ses propres émotions, ainsi que celles des autres, pour guider la pensée et l’action.

Le capitaine Marquinhos a incarné cette intelligence émotionnelle. À la veille de la finale contre l’Inter Milan, il a exprimé sa profonde connexion avec l’équipe, déclarant : « Je suis amoureux de cette équipe ». Cette déclaration reflète non seulement son attachement au groupe, mais aussi sa capacité à insuffler une énergie positive et une confiance collective. Pendant le match, son comportement exemplaire a servi de repère émotionnel pour ses coéquipiers. Sa sérénité et sa détermination ont aidé l’équipe à rester concentrée, même dans les moments de tension. Après la victoire, Marquinhos a eu une pensée pour ses anciens coéquipiers qui n’avaient pas réussi à remporter la Ligue des champions, déclarant : « Je pense à tous les joueurs qui sont passés ici, et qui n’ont pas réussi ». Ce geste d’humilité et de reconnaissance souligne sa capacité à gérer ses émotions tout en honorant l’histoire collective du club.

Contrairement à l’intelligence artificielle, qui peut analyser des données et prédire des comportements, l’intelligence émotionnelle repose sur des expériences vécues, des interactions humaines et une conscience de soi profonde. Elle ne se programme pas, elle se cultive. Dans un monde où les machines gagnent en capacité analytique, l’intelligence émotionnelle demeure une compétence humaine irremplaçable, essentielle à la performance individuelle et collective.

L’intelligence situationnelle est cette capacité à percevoir les dynamiques d’un environnement en constante évolution et à ajuster son comportement en conséquence. Dans le contexte du football, elle se manifeste par la faculté d’une équipe à modifier sa stratégie en fonction des circonstances du match, des forces et faiblesses de l’adversaire, et des imprévus sur le terrain.

Lors de la finale, le PSG a démontré une remarquable intelligence situationnelle. Les Parisiens ont su varier leur jeu, alternant entre pressing haut et phases de possession patiente, exploitant les espaces laissés par l’adversaire. Cette adaptabilité a été rendue possible grâce à une lecture fine du jeu et une communication constante entre les joueurs, permettant des ajustements tactiques en temps réel.

Un exemple marquant de cette intelligence situationnelle est la performance de Désiré Doué, jeune milieu offensif de 19 ans. Titularisé à la surprise générale, il a su s’adapter rapidement aux exigences du match, exploitant les espaces et ajustant son positionnement en fonction des mouvements adverses. Sa capacité à lire le jeu et à prendre des décisions éclairées en temps réel a été déterminante dans la domination du PSG lors de cette finale.

Cette capacité d’adaptation, fruit d’une expérience collective et d’une compréhension intuitive du jeu, est difficilement modélisable par une intelligence artificielle. Elle repose sur des perceptions sensorielles, des émotions, et une conscience contextuelle que les machines ne peuvent reproduire. Ainsi, l’intelligence situationnelle demeure une compétence humaine essentielle, particulièrement dans des environnements complexes et imprévisibles comme le sport de haut niveau.

L’intelligence créative est cette capacité à générer des idées nouvelles, à sortir des schémas établis pour proposer des solutions inédites. Dans le football, elle se manifeste par des stratégies innovantes, des combinaisons imprévues et des ajustements tactiques qui déstabilisent l’adversaire.

Lors de la finale, l’entraîneur Luis Enrique a démontré une remarquable intelligence créative. Face à une équipe de l’Inter Milan réputée pour sa rigueur défensive, il a élaboré un plan de jeu audacieux, mettant en avant la polyvalence de ses joueurs et exploitant les failles de l’adversaire. Cette approche a permis au PSG de dominer le match de bout en bout.

Un exemple marquant de cette créativité tactique est l’utilisation d’Achraf Hakimi dans un rôle hybride, oscillant entre ses fonctions de latéral droit et des incursions plus centrales. Cette flexibilité a désorienté la défense de l’Inter, créant des espaces exploités par les milieux offensifs.

Cette capacité à innover, à proposer des solutions originales en temps réel, est difficilement réplicable par une intelligence artificielle. Elle repose sur l’intuition, l’expérience et une compréhension profonde du jeu. Ainsi, l’intelligence créative demeure une compétence humaine essentielle, particulièrement dans des environnements compétitifs où l’innovation fait la différence.

L’intelligence relationnelle est cette capacité à établir des relations authentiques, à comprendre les dynamiques interpersonnelles et à créer un environnement propice à la collaboration. Dans le contexte du football, elle se manifeste par la faculté d’un club à fédérer l’ensemble de ses membres, à instaurer une culture de confiance et à valoriser chaque individu au sein du collectif.

Lors de la finale, le Paris Saint-Germain a démontré une remarquable intelligence relationnelle. Au-delà des performances sur le terrain, le club a su mobiliser l’ensemble de ses composantes autour d’un objectif commun. Un exemple marquant de cette intelligence relationnelle est l’initiative du club d’inviter l’ensemble de ses salariés à assister à la finale à Munich. Cette démarche souligne la volonté du PSG de renforcer les liens entre toutes les composantes du club, des joueurs aux membres du staff, en passant par les salariés administratifs.

Cette cohésion s’est également manifestée sur le terrain. Les remplaçants, tels que Senny Mayulu, entré en fin de match, ont su s’intégrer parfaitement et contribuer au succès collectif en inscrivant le cinquième but de la rencontre. Cette performance témoigne de la qualité des relations construites entre les joueurs, favorisant une dynamique d’équipe où chacun se sent valorisé et prêt à donner le meilleur de lui-même.

Cette capacité à créer des liens authentiques, à comprendre les besoins de chacun et à favoriser un environnement de travail harmonieux est difficilement réplicable par une intelligence artificielle. Elle repose sur l’empathie, l’écoute active et une compréhension profonde des relations humaines. Ainsi, l’intelligence relationnelle demeure une compétence humaine essentielle, particulièrement dans des environnements où la collaboration et la confiance sont primordiales.

À force d’annoncer que les intelligences artificielles vont nous dépasser, on finit par oublier de cultiver celles qui nous rendent vraiment humains. Le football, discipline de gestes et de flair, nous rappelle que le génie humain ne se réduit pas à des calculs. Que l’excellence ne naît pas d’un algorithme, mais de l’interaction entre des êtres capables d’intuition, d’improvisation, de confiance.

Le PSG 2025 en est la preuve vivante. Cette équipe a performé non pas grâce à des datas ou à un schéma tactique figé, mais parce qu’elle a su mobiliser tout un spectre d’intelligences profondément humaines. Elle a pensé ensemble, ressenti ensemble, ajusté en temps réel, innové, transmis. Ce que les machines reproduisent parfois mécaniquement, ces joueurs l’ont incarné dans la chaleur du réel, avec la peau, les regards, le silence, les gestes.

Dans un monde obsédé par la performance technique, cette victoire sportive dit autre chose : l’avenir ne se joue pas dans la rivalité entre l’humain et la machine, mais dans notre capacité à réinvestir ce que l’IA n’a pas, et n’aura jamais.

Le véritable enjeu ne consiste pas à apprendre aux enfants à coder avant dix ans, mais à les préparer à tout ce que les machines ne sauront pas faire. Apprendre à coopérer sans égo, à écouter sans juger, à ressentir sans se perdre. Savoir lire une situation, inventer une solution, faire surgir du sens dans l’ambiguïté. Cultiver la nuance, l’attention, le doute. Ce sont là les compétences vitales du XXIe siècle.

Et pourtant, nos systèmes éducatifs continuent à privilégier la reproduction, la logique linéaire, la compétition solitaire. Comme si le monde de demain pouvait être maîtrisé avec les recettes d’hier. Il est temps de réinventer l’école comme un terrain de jeu pour les intelligences multiples. Une école qui ne se contente pas de former de bons exécutants, mais qui éveille des esprits souples, critiques, créateurs, capables de vivre et d’agir dans un monde incertain.

La victoire du PSG ne devrait pas rester dans les vitrines du club. Elle devrait résonner dans les salles de classe, dans les ministères, dans les programmes de formation. C’est une invitation à changer notre regard sur ce qu’apprendre veut dire. À reconnaître enfin que l’intelligence humaine, dans sa diversité, n’est pas une ressource parmi d’autres. C’est la source.

• Gardner, H. (1983). Frames of Mind: The Theory of Multiple Intelligences. New York, NY: Basic Books.
• Sternberg, R. J. (1985). Beyond IQ: A Triarchic Theory of Human Intelligence. New York, NY: Cambridge University Press.
• Goleman, D. (1995). Emotional Intelligence: Why It Can Matter More Than IQ. New York, NY: Bantam Books.
• Lévy, P. (1994). L'intelligence collective: Pour une anthropologie du cyberespace. Paris, France: La Découverte.
• Morin, E. (1999). Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur. Paris, France: Seuil.
Related posts
Articles

L’IA générative, la partie émergée de l’iceberg

Par Nasreddine Menacer | Professeur et Responsable de la Clinique de l’IA et des programmes en ligne à aivancity 1- L’IA : bien plus que des générateurs de texte et d’images L’intelligence artificielle a récemment envahi…
Articles

Une coopération stratégique pour une IA éthique et inclusive : le tournant franco-indien

Au-delà des annonces spectaculaires du Sommet pour l’Action sur l’IA à Paris en février 2025, la coopération franco-indienne sur l’intelligence artificielle se démarque par une vision partagée, des engagements concrets et une stratégie d’innovation durable.
Articles

Et si nous avions déjà quitté Google sans le savoir ? Manifeste pour la fin annoncée des moteurs de recherche

Par Dr. Tawhid CHTIOUI, Président fondateur d’aivancity, la Grande Ecole de l’IA et de la Data Sélectionné parmi les 25 personnalités mondiales les plus influentes dans le domaine de l’IA et des données par Keyrus…
La clinique de l'IA

Vous souhaitez soumettre un projet à la clinique de l'IA et travailler avec nos étudiants.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *