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Et si l’IA nous obligeait à arrêter de payer les professeurs à l’heure ?

Manifeste pour une éducation au-delà du temps

Par Dr. Tawhid CHTIOUI, Président-fondateur d’aivancity, la Grande Ecole de l’IA et de la Data

Il entre dans la classe, comme chaque matin. Mais ce matin-là, quelque chose a changé.

Sur son bureau, son ordinateur a déjà préparé le plan du cours, sélectionné trois vidéos adaptées au niveau des élèves, transmis automatiquement la liste des absents à la scolarité, et repéré, à partir des interactions de tous les cours de la veille, ceux qui risquent de décrocher.

L’écran s’allume et affiche une phrase : « Voici comment tes élèves apprennent aujourd’hui. »

Ce n’est pas de la science-fiction. C’est un matin ordinaire de l’année 2030, dans une école ordinaire, où l’enseignant dialogue désormais avec un système qui apprend plus vite que lui, mais ne ressent rien. Un matin où la pédagogie change de dimension, où le savoir cesse d’être un bloc à transmettre pour devenir un flux à orchestrer. Un matin où l’enseignant découvre que le temps n’est plus la mesure de son métier, car tout s’accélère, tout s’adapte, tout se réinvente, sauf le cadre qui prétend encore compter son travail en heures.

Depuis deux siècles, l’école vit au rythme des horloges : des heures de cours, des semestres, des programmes, des barèmes. Mais que devient un métier fondé sur le temps, lorsque le savoir devient instantané ? Quand un algorithme corrige en quelques secondes, adapte une leçon en temps réel, ou suggère la meilleure méthode pour chaque élève ?

Peut-on encore mesurer l’enseignement à la durée, quand la valeur d’un apprentissage se joue dans la transformation d’un esprit ?

L’intelligence artificielle ne signe pas la fin du rôle des enseignants ; elle en révèle la profondeur oubliée. Elle fait éclater le cadre horaire pour redonner à l’acte d’enseigner ce qu’il avait parfois perdu : le sens, l’impact, la trace qu’il laisse.

Le professeur du futur n’aura peut-être plus de nombre d’heures à remplir, mais une mission à accomplir : inspirer, relier, révéler, élever.

Et si, dans ce nouveau monde, le vrai indicateur de l’enseignement n’était plus le temps passé, mais la lumière transmise ?

Depuis des siècles, l’école a été conçue comme un lieu de transmission lente, rythmée par les saisons, les sonneries, les heures de classe. Mais depuis peu, un séisme silencieux a bouleversé cette temporalité millénaire : le savoir s’actualise plus vite qu’il ne s’enseigne, la connaissance se régénère plus vite qu’elle ne se planifie.

Nous sommes entrés dans une ère où la vitesse du monde dépasse le rythme de l’école.

Selon l’UNESCO, en 2024, plus de 75 % des pays ont intégré ou expérimenté des dispositifs d’intelligence artificielle dans leurs systèmes éducatifs.

En Chine, 100 millions d’élèves utilisent chaque semaine des plateformes d’apprentissage adaptatif comme Squirrel AI, qui ajustent les cours au niveau de chaque apprenant. En Europe, la Commission européenne consacre 1,3 milliard d’euros au programme AI4Education pour soutenir l’intégration responsable de l’intelligence artificielle dans l’enseignement. D’après le Global Education Forum (2025), 68 % des enseignants déclarent utiliser une IA générative au moins une fois par semaine pour préparer leurs cours. Et selon l’OCDE, 40 % des établissements scolaires dans les pays développés recourent déjà à des outils d’analyse de données d’apprentissage pour suivre les progrès des élèves.

Ces chiffres ne sont pas seulement des indicateurs d’innovation. Ils dessinent un basculement civilisationnel : l’éducation, longtemps abritée du tumulte technologique, devient à son tour un champ d’expérimentation algorithmique.

La classe n’est plus un espace clos, mais un écosystème de données vivantes. L’élève n’est plus un récepteur de savoirs, mais un producteur de traces d’apprentissage. Et l’enseignant, désormais, travaille avec des systèmes capables d’analyser en une nuit ce qu’il observait autrefois en une année.

L’école, lentement, passe du temps à la donnée, du programme figé à la connaissance fluide. Mais cette transformation ne se réduit pas à une question de moyens : c’est le rapport même au savoir qui s’en trouve renversé. Autrefois, on apprenait pour retenir. Désormais, on apprend pour comprendre, pour interpréter, pour choisir, dans un monde où tout est disponible, mais où rien n’est encore discerné.

Ce basculement oblige à redéfinir le sens du métier d’enseigner. Car si la machine sait expliquer, répéter, corriger, seule la présence humaine peut donner forme à ce que la donnée ignore : l’intuition, l’attention, la confiance.

C’est là que se joue la révolution invisible : le professeur ne transmet plus des certitudes, il apprend à naviguer dans l’incertitude. Et c’est peut-être cela, la plus grande mutation du XXIᵉ siècle : passer de l’éducation de la mémoire à l’éducation du discernement.

L’intelligence artificielle ne se présente pas à l’école sous la forme d’un grand bouleversement spectaculaire, mais sous celle d’une lente infiltration. Elle entre d’abord par les marges, dans les outils du quotidien : la correction d’un devoir, la préparation d’un cours, l’analyse des retards, le suivi des notes. Et puis, peu à peu, elle devient une présence silencieuse dans la salle de classe, un miroir, un assistant, parfois même un partenaire.

  • Apprendre à la mesure de chacun

Dans une école de Shanghai, un élève dyslexique travaille sur Squirrel AI : la plateforme détecte ses erreurs récurrentes, ajuste la vitesse de progression, et reformule les consignes en temps réel.

Dans un lycée de Londres, une professeure utilise Century Tech pour proposer à chaque élève un parcours de révision adapté à son profil cognitif. Résultat : selon McKinsey (2024), les élèves suivant un apprentissage personnalisé via IA voient leurs performances scolaires augmenter en moyenne de 30 %. Le savoir cesse d’être linéaire : il devient vivant, réactif, intime. Chaque élève avance à son propre rythme, dans une pédagogie qui ressemble davantage à un dialogue qu’à un programme.

  • Réécrire le temps enseignant

Pendant que les élèves apprennent, l’intelligence artificielle apprend, elle aussi, de leurs réussites comme de leurs hésitations. Des outils comme Gradescope ou Copilot for Education corrigent des milliers de copies en quelques heures, identifient les points d’incompréhension, proposent des retours individualisés. Microsoft estime que ces systèmes réduisent de 45 % le temps de correction, tout en améliorant la cohérence des notations.

À Stanford, un modèle d’évaluation automatisée a analysé 500 000 copies en moins de 24 heures. Mais le véritable changement n’est pas dans la vitesse : il est dans la redistribution du temps. L’enseignant consacre moins d’énergie à évaluer et plus à accompagner. Le temps libéré devient un temps humain.

  • Prédire le décrochage avant qu’il ne devienne une absence

En Finlande, la plateforme Learning Analytics 360 observe chaque jour les traces d’apprentissage de milliers d’élèves : fréquence de connexion, régularité des exercices, ton des messages envoyés à leurs professeurs. Lorsqu’un signal faible apparaît, une baisse d’engagement, un silence prolongé, l’algorithme prévient l’équipe pédagogique. Grâce à ce système, le pays a réduit de 18 % son taux de décrochage scolaire en trois ans.

Ce n’est plus une école qui réagit, c’est une école qui anticipe. Une école qui lit les données comme un médecin lit les signes vitaux : non pour sanctionner, mais pour soigner.

  • Inventer de nouvelles formes de créativité pédagogique

L’intelligence artificielle ouvre à l’enseignement un territoire jusque-là insoupçonné : celui de la co-création pédagogique. Avec des outils comme ChatGPT Edu, un simple exercice peut devenir une simulation immersive : l’IA invente des scénarios, adapte les niveaux de difficulté, rédige des retours individualisés et reformule les questions selon les réponses données.

D’autres plateformes, telles que Perplexity Classroom ou Notebook LM, permettent de générer des débats interactifs, de synthétiser des corpus d’articles ou de construire, en quelques secondes, des supports d’apprentissage sur mesure. Ces outils ne font pas qu’automatiser la préparation : ils déplacent le geste créatif de l’enseignant. Ils lui offrent un espace d’exploration, une capacité à tester, ajuster, réinventer sans contrainte de temps ni de format. Selon le Global Education Forum (2025), 70 % des enseignants utilisent désormais une IA générative pour concevoir ou adapter leurs supports de cours. L’IA devient alors un atelier d’imagination : un compagnon de conception plus qu’un outil de production.

  • Inclure ceux que l’école oubliait

En Espagne, un collégien réfugié suit ses cours grâce à un traducteur automatique qui lui permet de comprendre, presque instantanément, les consignes données en classe. Dans une école primaire en Norvège, une fillette malvoyante apprend à lire grâce à Seeing AI, une application qui lui décrit les

pages en temps réel. L’UNICEF estime que ces technologies pourraient rendre l’éducation accessible à 90 % des enfants handicapés d’ici 2030.

Là où la machine personnalise, elle humanise paradoxalement : elle redonne une voix, une place, une chance à ceux que le système standard avait exclus. Ainsi, sans fracas, l’intelligence artificielle recompose le métier d’enseigner : elle déleste des tâches répétitives, révèle des fragilités invisibles, et rend possible une pédagogie plus fine, plus attentive, plus humaine. Elle ne remplace pas l’intelligence du professeur, elle la démultiplie. Elle lui rappelle que la connaissance ne s’impose pas, elle se tisse. Et peut-être que le véritable progrès ne réside pas dans ce que la machine fait à notre place, mais dans ce qu’elle nous rend capables de refaire : écouter, comprendre, accompagner.

Pendant des siècles, enseigner consistait à parler, à transmettre, à expliquer, à faire retenir. Mais dans un monde où chaque élève peut interroger ChatGPT comme il interrogerait un dictionnaire vivant, le pouvoir du savoir ne réside plus dans la possession, mais dans la mise en sens.

L’enseignant n’est plus celui qui détient la réponse, mais celui qui apprend à formuler les bonnes questions. L’intelligence artificielle n’efface pas le métier, elle le déplace. Là où le professeur corrigeait, il interprète. Là où il expliquait, il accompagne. Là où il préparait des supports, il conçoit désormais des expériences. Il devient architecte du sens, c’est-à-dire celui qui relie les savoirs, les émotions et les outils dans une structure cohérente et vivante.

Selon l’OCDE (2025), 82 % des enseignants européens estiment que leur rôle évoluera vers un accompagnement plus personnalisé et plus créatif grâce à l’IA. Et ce n’est pas un hasard : la machine prend le poids de la répétition, l’humain reprend le privilège de la relation. Le professeur devient curateur de contenus, filtrant et contextualisant les ressources générées par l’IA pour en préserver la pertinence. Il devient mentor cognitif, aidant les élèves à interpréter les réponses automatiques, à distinguer le savoir de l’opinion, le sens du signal. Et surtout, il devient chef d’orchestre de l’intelligence éducative, capable de coordonner humains et algorithmes dans une même symphonie de l’apprentissage.

Mais cette transformation ne se joue pas seulement sur le plan pédagogique. Elle interroge le cœur du modèle éducatif lui-même. Car si l’enseignant du futur crée de la valeur, pourquoi continuer à la mesurer en heures d’enseignement ?

À l’ère des IA génératives, le temps n’est plus la ressource rare : c’est l’attention, l’impact, l’émotion qui deviennent les vraies unités de mesure. Le modèle qui rémunère à l’heure est un vestige d’un monde industriel ; l’école qui s’annonce est un écosystème de valeur cognitive et humaine.

Un jour, peut-être, les enseignants ne seront plus payés pour le nombre d’heures dispensées, mais pour la transformation qu’ils auront générée : le progrès des étudiants, leur satisfaction, leur capacité à apprendre autrement. Car enseigner n’est pas occuper le temps, c’est le métamorphoser.

L’éducation, depuis toujours, a été un acte de foi dans la lenteur. Mais aujourd’hui, elle entre dans une nouvelle ère : celle où le temps s’accélère sans se vider de sens, où le savoir circule plus vite que les

programmes, où l’on ne mesure plus la valeur d’un enseignant à son emploi du temps, mais à la trace qu’il laisse dans les esprits.

L’enseignant n’est plus un exécutant du programme : il en devient le poète. Il sculpte des trajectoires, tisse des liens invisibles, invente des langages entre l’humain et la machine. Et dans cette mutation silencieuse, il retrouve peut-être ce qu’il n’aurait jamais dû perdre : la liberté de penser l’éducation comme un art, et non comme une tâche chronométrée.

Depuis des générations, le métier d’enseigner se mesure au temps : un service en heures, une grille horaire, un plan de charge. Tout est compté, planifié, calibré.

Le savoir, lui, ne l’est plus. Il circule à la vitesse des réseaux, se met à jour en temps réel, se réinvente à chaque requête. Comment un métier fondé sur la lenteur pourrait-il encore se penser à l’heure ?

Le temps a longtemps été la monnaie de l’enseignement. On rémunérait la présence, pas la portée ; la durée, pas l’impact. Mais dans un monde où une IA peut générer un cours complet, simuler une discussion socratique ou synthétiser un corpus en quelques secondes, la valeur de l’enseignant ne réside plus dans ce qu’il fait pendant son temps, mais dans ce qu’il provoque au-delà de lui.

Ce n’est plus le temps passé qui compte, c’est la trace laissée. Demain, peut-être, les universités et les écoles mesureront autrement la contribution d’un enseignant. Non plus en volume horaire, mais en valeur éducative : l’évolution des compétences de ses étudiants, leur engagement, leur créativité, leur confiance retrouvée.

Le taux de satisfaction remplacera le nombre d’heures de présence ; l’impact cognitif et émotionnel remplacera le décompte administratif. Les indicateurs de demain seront des indices de transformation humaine. Ce basculement peut sembler utopique, mais il a déjà commencé ailleurs. Certaines entreprises, inspirées par l’économie de la valeur, rémunèrent désormais leurs collaborateurs selon l’impact collectif et non le temps passé. Pourquoi l’école, matrice des futurs métiers, resterait-elle figée dans un modèle du passé ?

L’intelligence artificielle, en automatisant les tâches répétitives, libère l’enseignant du chronomètre : elle l’invite à redevenir ce qu’il n’a jamais cessé d’être : un créateur de transformations.

L’idée peut paraître provocatrice : et si l’on payait un professeur non pour enseigner dix heures, mais pour éveiller dix esprits ? Et si le système éducatif cessait de mesurer la transmission par la durée, pour la mesurer par la valeur de la relation ? Une heure inspirante change une vie ; cent heures fades n’en changent aucune. L’économie de la connaissance n’est plus celle du temps, mais celle du sens.

Cette mutation est d’autant plus nécessaire qu’elle ouvre la voie à un nouveau contrat social de l’enseignement : un contrat fondé sur la confiance, la reconnaissance et la trace. La confiance dans la liberté pédagogique, la reconnaissance de la valeur créée, la trace durable dans la formation des esprits. C’est une pédagogie qui ne se vend pas à la minute, mais qui s’évalue à l’échelle d’une conscience éveillée. Car l’éducation n’a jamais été une industrie du temps. C’est une économie du vivant, une alchimie lente et fragile entre la parole, la curiosité et la résonance intérieure. Et si le monde

de demain devait vraiment mesurer l’impact d’un enseignant, il ne le ferait pas en heures d’enseignement, mais en étincelles allumées.

L’enseignant du XXIᵉ siècle n’est plus seulement un pédagogue : c’est un traducteur entre deux intelligences : celle de la machine et celle de l’humain. Il ne lui suffit plus de maîtriser son domaine, il doit comprendre la logique qui en décuple la portée : les modèles d’apprentissage automatique, les architectures de données, les biais invisibles des algorithmes. Mais surtout, il doit apprendre à rester humain dans un monde qui, de plus en plus, délègue la pensée aux systèmes.

D’ici 2030, selon l’UNESCO, un enseignant sur deux devra être formé à la pédagogie numérique et à l’intelligence artificielle. Cette exigence n’est pas technique : elle est philosophique. Car savoir utiliser une IA, c’est aussi savoir ce qu’on lui confie ; et ce qu’on ne doit jamais lui abandonner.

  • Les compétences techniques : comprendre pour orienter

L’enseignant du futur devra être capable de lire un tableau de bord d’apprentissage comme il lit aujourd’hui une copie d’élève. Savoir interpréter les données, comprendre ce qu’elles montrent et ce qu’elles cachent. Utiliser les IA non pour déléguer la pédagogie, mais pour affiner la compréhension des rythmes et des besoins individuels. Comme un médecin qui écoute autant qu’il observe, il devra combiner l’analyse algorithmique et l’intuition humaine.

  • Les compétences transversales : coopérer avec l’intelligence

La salle de classe de demain ne sera plus seulement un lieu de transmission, mais un espace de co-apprentissage entre humains et machines. L’enseignant y devient un facilitateur de créativité collective : il apprend à ses étudiants non seulement avec l’IA, mais à travers elle. Il doit savoir orchestrer la collaboration homme-machine, cultiver la curiosité, encourager l’esprit critique face à la réponse automatique.

L’enjeu n’est plus de savoir plus vite, mais de penser plus librement. La donnée devient un support d’émancipation, à condition d’être lue avec discernement.

  • Les compétences éthiques : maîtriser la puissance, préserver le sens

En Europe, l’AI Act classe les systèmes éducatifs parmi les applications à haut risque. Cela signifie que l’usage d’une IA dans l’enseignement devra répondre à des principes stricts de transparence, de non-discrimination et de respect de la vie privée. Chaque enseignant devra donc devenir, à sa manière, gardien de l’intégrité éducative. Garantir la conformité RGPD, comprendre la logique de la donnée, savoir poser des limites à l’automatisation. Mais plus encore : être capable de rappeler que l’éducation est un acte moral avant d’être un processus cognitif. Car si la machine peut mesurer la progression, seule la conscience peut mesurer la signification. Et c’est peut-être là la compétence la plus rare et la plus urgente : savoir tenir ensemble le code et la conscience, la précision et la responsabilité, l’efficacité et la bonté.

L’école du futur ne formera pas seulement des enseignants capables d’utiliser l’IA. Elle devra former des intelligences capables d’en faire bon usage. Et parmi elles, les professeurs seront les premiers à

donner l’exemple : des artisans du sens dans un monde d’automatismes, des éclaireurs capables de conjuguer le calcul et la compassion, la donnée et la dignité.

Toute promesse technologique porte en elle son envers. L’intelligence artificielle se présente comme un instrument d’équité, mais si elle est mal comprise, mal gouvernée, mal partagée, elle peut devenir un accélérateur d’injustice. Car l’école n’a jamais été seulement un lieu d’apprentissage : c’est un lieu d’équilibre, où chaque progrès doit être mesuré à l’aune de la justice qu’il sert.

Aujourd’hui, l’IA peut aider à réduire les écarts : en Inde, les programmes AI Classrooms ont permis d’augmenter de 25 % le taux de réussite en mathématiques dans les zones rurales ; en Afrique du Sud, le chatbot éducatif Rori Learn soutient plus de 600 000 élèves via WhatsApp, leur offrant un accompagnement personnalisé souvent inexistant localement ; en France, les traducteurs et synthétiseurs vocaux facilitent l’intégration d’enfants allophones ou malvoyants. Ces exemples révèlent un espoir immense : celui d’une école plus juste, plus accessible, plus universelle.

Mais derrière ces réussites se cachent des fractures persistantes. Les biais culturels et linguistiques continuent de traverser les modèles d’IA, reproduisant parfois les inégalités qu’ils prétendent corriger. La fracture numérique, elle, reste béante : 244 millions d’enfants dans le monde n’ont toujours pas accès à une connexion Internet stable. Et l’opacité algorithmique rend parfois invisibles les mécanismes de décision qui orientent les parcours d’apprentissage.

À qui appartiennent ces données ? Qui définit la valeur d’une réussite ? Qui veille à ce que les outils d’IA n’éduquent pas à l’obéissance plutôt qu’à la liberté ? La question de l’équité devient alors une question de gouvernance. Car l’intelligence artificielle ne rend pas l’enseignement plus juste par nature : elle le devient par la manière dont nous la pensons, la formons, la régulons.

Une IA éducative déployée sans conscience peut creuser les écarts qu’elle prétend combler ; une IA gouvernée avec sagesse peut, au contraire, ouvrir la voie à une démocratie cognitive mondiale. L’éducation doit donc inventer sa propre éthique algorithmique : une éthique où la transparence devient une valeur fondatrice, où la donnée appartient d’abord à celui qu’elle décrit, où l’on enseigne aux élèves non seulement à se servir des IA, mais à les interroger.

Apprendre à penser l’outil, c’est apprendre à rester libre de lui. Ainsi, la véritable égalité éducative ne se décrète pas par la technologie, elle se cultive. Elle exige des enseignants formés, des institutions vigilantes, des politiques éclairées. Elle repose sur une idée simple et pourtant révolutionnaire : que le progrès n’est pas ce qui automatise, mais ce qui émancipe.

L’intelligence artificielle peut uniformiser ou libérer, réduire ou révéler. Tout dépend du regard que nous portons sur elle. Et peut-être que le défi des années à venir ne sera pas d’équiper chaque classe d’un assistant intelligent, mais de rendre chaque conscience plus intelligente face à l’assistant.

Nous vivons un moment charnière de l’histoire de l’éducation. Pour la première fois, l’humanité partage ses salles de classe avec une forme d’intelligence qui ne dort pas, ne se lasse pas, ne doute pas. Elle sait répondre, corriger, traduire, synthétiser. Mais elle ignore ce qui fait la beauté d’un cours : le silence avant une réponse, la lumière dans le regard d’un élève qui comprend enfin, la vibration du lien. C’est là que se joue la frontière entre l’intelligence artificielle et l’intelligence humaine : dans la capacité à donner du sens à la connaissance.

L’école de demain ne sera ni technologique ni nostalgique. Elle sera hybride, c’est-à-dire profondément humaine et lucidement augmentée. Les enseignants travailleront aux côtés d’assistants intelligents capables d’automatiser les tâches administratives, d’adapter les parcours, de suggérer des ressources pédagogiques instantanément. Les IA génératives concevront des exercices interactifs, simuleront des débats ou reconstitueront des expériences scientifiques. Les données permettront d’ajuster en temps réel les apprentissages, de détecter les fragilités, d’accompagner chacun à son rythme. Mais rien de tout cela ne remplacera la présence vivante du pédagogue : celle qui inspire, relie, révèle, élève.

Car enseigner, à l’ère de l’intelligence artificielle, ce n’est pas transmettre ce que la machine sait déjà. C’est apprendre à penser au-dessus d’elle. C’est offrir aux étudiants la capacité de discerner, de créer, de douter, d’imaginer, tout ce qu’aucun algorithme ne saura jamais simuler pleinement.

La mission de l’enseignant devient celle d’un médiateur du sens, un gardien de l’esprit critique dans un monde saturé d’informations, un passeur d’humanité dans un univers de calculs.

Pour que cette révolution éducative reste une aventure humaine, trois conditions s’imposent :

  1. Former massivement les enseignants aux usages et aux limites de l’IA, pour qu’ils en fassent un levier d’émancipation et non d’asservissement.
  2. Garantir la transparence et la souveraineté des données éducatives, afin que les systèmes respectent les valeurs et les contextes culturels de chaque société.
  3. Réaffirmer la finalité humaniste de l’éducation : apprendre non pour produire, mais pour comprendre, partager, inventer, aimer.

Car au fond, la véritable révolution ne réside pas dans la machine qui apprend, mais dans l’humain qui réapprend à enseigner autrement.

L’IA nous rappelle que le savoir est vivant, qu’il se régénère à la vitesse du monde, et que l’acte d’enseigner, lui, reste une forme d’art : un art du lien, de la nuance, de la confiance.

L’école du futur ne sera pas une usine à données, mais un écosystème de sens. Un lieu où les technologies éclairent sans éblouir, où la mesure de la valeur ne sera plus le nombre d’heures enseignées, mais la qualité des consciences éveillées. Et peut-être qu’alors, le mot professeur retrouvera son étymologie première : non pas celui qui parle, mais celui qui fait grandir…

Manifeste des enseignants du futur

  1. Le futur de l’école ne se comptera plus en heures, mais en élans.
    L’enseignement n’est pas une durée, c’est un mouvement intérieur.
  2. Un bon enseignant ne gagne pas du temps, il en crée.
    Le temps libéré par la machine devient un temps de présence.
  3. La donnée éclaire, mais seul le regard enseigne.
    L’IA peut prédire, seule la conscience peut comprendre.
  4. Former, ce n’est pas remplir des cerveaux, c’est allumer des consciences.
    La connaissance n’est pas un stock : c’est une flamme.
  5. L’IA corrige des copies, mais ne console pas un élève découragé.
    L’émotion demeure le premier vecteur d’apprentissage.
  6. Le savoir n’est plus à transmettre, mais à tisser.
    Chaque interaction devient une fibre du sens collectif.
  7. On n’évalue pas la lumière d’un phare à sa consommation d’énergie.
    De même, on ne mesure pas un enseignant à son volume horaire.
  8. La vitesse ne vaut rien sans direction.
    L’IA accélère tout, encore faut-il savoir où aller.
  9. Enseigner, ce n’est pas adapter des contenus, c’est élever des regards.
    L’impact se mesure dans ce qui demeure invisible.
  10. Et si la vraie révolution éducative commençait le jour où l’on arrêtera de compter en heures ?
    Ce jour-là, l’école cessera d’être un lieu de passage pour redevenir un lieu de transformation.

Organisations internationales

  • UNESCO. (2024). Artificial Intelligence in Education: Challenges and Opportunities for Sustainable Development. Paris : UNESCO Publishing.
  • UNESCO. (2023). Global Education Monitoring Report 2023 – Technology in Education: A Tool on Whose Terms? Paris : UNESCO.
  • OCDE. (2024). Education at a Glance 2024: OECD Indicators. Paris : OECD Publishing. (Référence pour : 40 % des établissements utilisant des outils d’analyse de données d’apprentissage ; 82 % des enseignants européens percevant un changement de rôle lié à l’IA.)
  • UNICEF. (2023). The State of the World’s Children 2023: For Every Child, Access to Education. New York : United Nations Children’s Fund.

Études et rapports sectoriels

  • McKinsey & Company. (2024). How Artificial Intelligence Is Transforming Learning Outcomes. McKinsey Global Education Practice.
  • Microsoft Education. (2024). The Future of Learning: AI Tools and Educator Productivity. Redmond : Microsoft Corporation.
  • Global Education Forum. (2025). Educators and Generative AI: The State of Adoption in 2025. Geneva : GEF Reports.
  • Learning Analytics Research Network (LARN). (2024). Predictive Systems in Education: A 5-Year Impact Review. Helsinki : LARN Press.

Programmes et initiatives internationales

  • European Commission. (2024). AI4Education Programme: Advancing Responsible Artificial Intelligence in European Schools. Brussels : Directorate-General for Education, Youth, Sport and Culture.
  • Squirrel AI Learning. (2024). Adaptive Learning Platforms for Personalized Education in China. Shanghai : Squirrel AI Research Division.
  • Century Tech. (2024). The Future of Learning Analytics in UK Schools. London : Century Tech Education Report.
  • Rori Learn. (2024). Scaling Mobile Learning for Equity in Sub-Saharan Africa. Cape Town : Rori Learn Initiative.
  • AI Classrooms India Initiative. (2024). Education and Artificial Intelligence in Rural India. New Delhi : Ministry of Education & NITI Aayog.

Cadres réglementaires et prospectifs

  • European Parliament & Council of the EU. (2024). Artificial Intelligence Act (AI Act): Regulation on Artificial Intelligence Systems. Brussels.
  • OECD. (2025, à paraître). Teachers for Tomorrow: Human-AI Collaboration in Education. Paris : OECD Future of Education Series.

Sources complémentaires

  • Stanford University. (2024). AI-Powered Grading and Large-Scale Assessment Automation: A Case Study. Stanford Center for Educational Research.
  • CNED. (2024). Pilotage d’un assistant intelligent de révision individualisée dans les lycées français. Poitiers : CNED Innovation Lab.

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