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Stratégie « AI+ » : la Chine accélère l’intégration de l’IA dans tous les secteurs  

En 2015, la Chine lançait le programme « Internet+ », une politique de transformation numérique visant à intégrer Internet dans tous les pans de l’économie traditionnelle. Dix ans plus tard, Pékin amorce un virage encore plus ambitieux avec le lancement du plan « AI+ », officialisé en mars 2024 par la National Development and Reform Commission (NDRC). Objectif : faire de l’intelligence artificielle une infrastructure omniprésente, moteur de croissance, d’innovation et de compétitivité globale.

Derrière cette stratégie se joue un enjeu de souveraineté technologique. Alors que les tensions géopolitiques autour des semi-conducteurs et des modèles d’IA de fondation s’intensifient, la Chine entend affirmer sa capacité à intégrer l’IA dans l’ensemble de ses secteurs stratégiques, avec une rapidité et une ampleur inégalées. Le plan « AI+ » s’inscrit dans la continuité de la feuille de route établie par le Conseil des Affaires d’État dès 2017, qui visait à faire de la Chine « le leader mondial de l’intelligence artificielle d’ici 2030 »1.

Le plan « AI+ » repose sur un principe simple : tous les secteurs sont éligibles à l’intégration de l’IA. Cela inclut l’agriculture, la santé, les transports, la finance, l’industrie, l’éducation, la cybersécurité, l’administration publique, et même la culture et le sport.

Selon le ministère chinois de l’Industrie et des Technologies de l’Information (MIIT), plus de 400 projets pilotes ont été lancés dans le cadre de « AI+ » dès les premiers mois de 20252. Ces initiatives sont soutenues par un écosystème public-privé mobilisé à tous les niveaux : subventions d’État, incitations fiscales, crédits à l’innovation, partenariats universitaires.

Le rôle des grandes entreprises chinoises, en particulier les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), est central dans cette dynamique. Alibaba Cloud propose déjà des solutions IA spécifiques pour la logistique, le commerce et les villes intelligentes. Baidu, via ses modèles Ernie, fournit des API vocales et visuelles intégrées dans les services publics. Ces géants sont appelés à devenir les chevilles ouvrières du déploiement industriel de l’IA dans le pays.

Le plan « AI+ » s’appuie sur le développement et le déploiement de technologies de pointe, notamment :

La Chine investit massivement dans ses capacités de calcul. En 2024, elle a annoncé la mise en service de plus de 30 nouveaux centres de calcul intensif à travers le pays. En parallèle, des efforts de standardisation sont lancés afin d’assurer l’interopérabilité des solutions IA entre les ministères, entreprises et collectivités. Le MIIT a récemment publié un ensemble de normes industrielles IA couvrant l’audit algorithmique, la cybersécurité et l’évaluation des modèles.

Les premières applications concrètes de « AI+ » émergent dans la vie quotidienne des citoyens. Dans les hôpitaux, l’IA est utilisée pour l’imagerie médicale, l’aide au diagnostic et la gestion prédictive des lits. Le système hospitalier de Pékin utilise désormais une plateforme centralisée capable de traiter 100 000 images médicales par jour pour détecter précocement des cancers pulmonaires4.

Dans le domaine juridique, certains tribunaux utilisent l’IA pour la rédaction automatisée de décisions ou l’analyse prédictive de litiges. Dans l’éducation, des plateformes adaptatives sont déployées dans plus de 1 500 écoles primaires pour individualiser les parcours pédagogiques, avec un suivi automatisé des progrès.

Les villes intelligentes constituent un autre terrain d’expérimentation. À Shanghai, un système de régulation de la circulation par IA a permis de réduire de 15 % le temps moyen de trajet dans certains quartiers en moins d’un an. Les caméras intelligentes y assurent également la reconnaissance d’incidents en temps réel.

L’ampleur et la centralisation du plan « AI+ » mettent en lumière des enjeux éthiques et de gouvernance importants. L’intégration de l’IA dans des domaines sensibles comme la santé, l’éducation, la justice ou la mobilité suppose de traiter des volumes considérables de données personnelles. La question de la protection de la vie privée et de la transparence des algorithmes se pose donc avec acuité.

La Chine a engagé plusieurs initiatives dans ce domaine. La China Cyberspace Administration a publié des directives encadrant l’usage éthique des modèles de langage et la gestion des contenus générés par IA. Parallèlement, des normes industrielles sont progressivement introduites par le MIIT afin de renforcer la sécurité, l’auditabilité et l’interopérabilité des systèmes.

Si ces démarches traduisent une volonté d’encadrement, elles diffèrent des approches adoptées dans d’autres régions du monde, comme l’Union européenne avec l’IA Act, qui repose sur un cadre juridique contraignant. La stratégie chinoise privilégie une logique d’expérimentation rapide et de déploiement à grande échelle, ce qui alimente le débat sur l’équilibre entre innovation, efficacité et protection des droits.

Plusieurs chercheurs et universitaires en Chine appellent d’ailleurs à renforcer la transparence et à développer des mécanismes de contrôle indépendants, afin de garantir une gouvernance équilibrée de l’IA. Ces discussions montrent que la question éthique n’est pas absente du débat, mais qu’elle s’inscrit dans un cadre culturel, politique et réglementaire spécifique.

La stratégie « AI+ » ne se limite pas au territoire national. Elle s’inscrit aussi dans l’ambition de la Chine de jouer un rôle moteur dans la définition des standards mondiaux de l’IA. À travers l’initiative « Digital Silk Road », Pékin exporte ses infrastructures IA vers des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, en particulier dans les secteurs de la santé et de la sécurité.

Des projets pilotes ont été lancés au Pakistan, au Nigeria ou encore au Cambodge. L’objectif est double : créer une dépendance technologique vis-à-vis des solutions chinoises et influencer les normes internationales, en contournant les régulations occidentales jugées trop contraignantes.

Face à cette dynamique, l’Europe cherche encore sa voie. L’IA Act, bien que pionnier, reste perçu comme un frein à l’innovation rapide. La montée en puissance du modèle chinois pourrait donc rebattre les cartes : la question n’est plus seulement technologique, elle devient géostratégique et normative.

Avec « AI+ », la Chine ne se contente pas d’accélérer sa transformation numérique : elle redéfinit les règles du jeu technologique mondial. En déployant une IA multisectorielle, centralisée et largement financée, elle cherche à prendre une longueur d’avance sur ses concurrents. Cette stratégie pose toutefois une question fondamentale : peut-on construire un avenir intelligent sans débat démocratique sur les finalités de l’intelligence ?

Retrouvez aussi sur ce blog notre article : VivaTech 2025 : Mistral AI dévoile une infrastructure souveraine de calcul intensif en partenariat avec Nvidia pour comprendre comment d’autres pays structurent également leur stratégie technologique autour de l’IA.

1. China State Council. (2017). New Generation Artificial Intelligence Development Plan.
http://www.gov.cn/

2. MIIT. (2025). AI+ Pilot Projects Summary Report.
http://www.miit.gov.cn/

3. Huawei. (2024). Ascend 910B : Next-Generation AI Processor.
https://www.huawei.com/

4. Beijing Municipal Health Commission. (2024). AI Diagnostic Efficiency in Urban Hospitals.
http://www.bjhc.gov.cn/

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