Moins de deux ans après sa création, la start-up française Mistral AI franchit une étape décisive : une levée de fonds de 1,7 milliard d’euros vient de porter sa valorisation à plus de 11,5 milliards, faisant d’elle la première “décacorne” française dans le secteur de l’intelligence artificielle1. Une performance exceptionnelle, qui souligne non seulement la rapidité de la montée en puissance de l’entreprise, mais aussi l’intérêt stratégique croissant pour les modèles d’IA souverains, performants et ouverts.
Dans un paysage mondial dominé par les géants américains (OpenAI, Google DeepMind, Anthropic) et chinois (Baichuan, Zhipu AI), Mistral apparaît désormais comme le porte-drapeau d’une alternative européenne crédible. Cette levée de fonds marque un tournant dans la structuration de l’écosystème IA du continent, à la fois sur le plan technologique, économique et politique.
Une décacorne née en 20 mois
Fondée en juin 2023 par Arthur Mensch (ex-DeepMind), Guillaume Lample (ex-Meta) et Timothée Lacroix (ex-Meta), Mistral s’est rapidement imposée comme un acteur de référence grâce à ses modèles de langage open source, dont Mistral 7B et Mixtral. En misant sur une stratégie d’ouverture et de transparence algorithmique, l’entreprise a séduit de nombreux partenaires académiques, industriels et institutionnels.
La levée de fonds annoncée début septembre 2025 comprend à la fois du capital frais et un rachat de parts secondaires. Elle fait entrer au capital de nouveaux investisseurs majeurs, parmi lesquels General Catalyst, DST Global, NVIDIA, Samsung Venture Investment, Salesforce Ventures, et le fonds souverain d’Abu Dhabi (Mubadala)2. Le fonds français Bpifrance reste également un soutien actif.
Pourquoi les investisseurs misent-ils sur Mistral ?
Le succès de Mistral repose sur plusieurs leviers complémentaires :
- Un positionnement technologique clair : des modèles compacts, performants, entièrement publiés sous licence open source permissive (Apache 2.0).
- Un ancrage européen affirmé : l’entreprise communique régulièrement sur son engagement pour la souveraineté numérique et la transparence des modèles.
- Une trajectoire fulgurante : moins de deux ans après sa création, Mistral est déjà perçue comme une alternative sérieuse à OpenAI ou Meta dans certains usages.
Ce modèle attire d’autant plus que de nombreuses entreprises et administrations cherchent aujourd’hui à réduire leur dépendance aux fournisseurs américains, dans un contexte de régulation croissante (AI Act européen, DSA, RGPD).
Mistral est-elle toujours française ?
Officiellement, Mistral AI demeure une entreprise française, fondée à Paris en 2023 par trois chercheurs français et toujours basée en France. Son positionnement public reste fortement lié à la souveraineté technologique européenne, et le fonds public Bpifrance continue de faire partie des investisseurs historiques.
Mais la composition de son capital a évolué significativement à l’occasion de la levée de fonds de septembre 2025. Parmi les nouveaux actionnaires, on trouve :
- ASML (Pays-Bas), le géant mondial des semi-conducteurs, qui devient le principal actionnaire individuel avec environ 11 % du capital3.
- General Catalyst (États-Unis), un fonds d’investissement très actif dans la tech, notamment dans l’IA.
- DST Global (Hong Kong), Samsung Venture Investment (Corée du Sud), Salesforce Ventures (États-Unis) et Mubadala (fonds souverain d’Abu Dhabi).
Si aucun acteur étranger ne détient une majorité à lui seul, la participation combinée d’investisseurs non européens devient significative. À l’inverse, aucun investisseur français ne détient individuellement plus de 10 % du capital à l’issue de cette levée4.
En somme, Mistral reste française juridiquement et stratégiquement, mais son contrôle capitalistique est désormais largement internationalisé. Ce paradoxe, entreprise tricolore aux actionnaires mondiaux, alimente le débat sur ce que signifie réellement la souveraineté en matière d’intelligence artificielle.
Développer, structurer, rayonner : les priorités post-levée
La levée de fonds permettra à Mistral de renforcer plusieurs chantiers stratégiques :
- Développement de modèles plus avancés : IA multimodales, agents autonomes, systèmes intégrant langage, vision et parole.
- Investissement dans l’infrastructure : l’entreprise a annoncé un partenariat avec NVIDIA pour développer une infrastructure souveraine de calcul intensif, condition indispensable à l’entraînement de grands modèles IA5.
- Expansion à l’international : Mistral prévoit d’ouvrir des bureaux en Europe, aux États-Unis et en Asie, tout en consolidant ses équipes en France.
L’entreprise pourrait également intensifier ses collaborations avec le secteur public, notamment dans l’éducation, la santé ou les services numériques.
Mistral, symbole d’une ambition géopolitique
La trajectoire de Mistral dépasse le cadre entrepreneurial. Elle reflète une volonté politique : celle de construire une IA européenne, compétitive et éthique. Le soutien explicite de plusieurs institutions françaises et européennes souligne l’importance géostratégique de la question. La maîtrise des modèles d’IA est désormais considérée comme un atout critique de souveraineté, au même titre que l’énergie ou la cybersécurité.
Mistral apparaît dans ce contexte comme un outil d’influence technologique, capable de proposer une troisième voie entre les modèles fermés dominants et les approches plus communautaires, mais parfois dispersées, du monde open source.
Rester ouvert tout en montant en puissance : un pari complexe
Si Mistral bénéficie d’un soutien massif, plusieurs défis restent à relever :
- Soutenir économiquement un modèle open source à grande échelle : la diffusion libre des modèles réduit les revenus directs, obligeant à trouver d’autres leviers (API, services, support entreprise…).
- Recruter et retenir les meilleurs talents dans un marché très concurrentiel.
- Assurer la transparence et la gouvernance des modèles : Mistral devra maintenir des standards élevés en matière d’auditabilité, de documentation et de respect des régulations.
Enfin, la course mondiale à la taille des modèles (GPT-5, Gemini Ultra…) impose une vigilance : la puissance seule ne garantit pas la pertinence, surtout dans les contextes européens où l’éthique, l’efficience et la frugalité jouent un rôle central.
Une nouvelle ère pour l’IA européenne ?
La levée de fonds de Mistral dépasse le simple record financier. Elle incarne une mutation structurelle de l’écosystème IA européen, où il devient possible de porter des ambitions mondiales sans renoncer à l’ouverture, à la transparence et à des valeurs de service public.
Reste désormais à savoir si Mistral pourra transformer cette puissance de feu en impact réel, durable et utile pour la société. La prochaine étape se jouera autant sur le terrain technologique que sur celui de la confiance.
Pour aller plus loin
Pour enrichir votre compréhension de la stratégie de Mistral et de ses ambitions, découvrez ces deux articles internes du blog aivancity :
- TotalEnergies et Mistral AI : l’IA générative au service d’une énergie plus intelligente, cas concret d’alliance stratégique entre IA open source et transition énergétique.
- Magistral : l’IA de Mistral qui redonne du sens au raisonnement automatisé, approfondissement sur le modèle Magistral, révélateur de la volonté de transparence, de raisonnement structuré et de valeur européenne.
Références
1. Les Échos. (2025). Mistral devient la première décacorne française avec une levée de 1,7 milliard d’euros.
https://www.lesechos.fr/
2.TechCrunch. (2025). Mistral AI raises $1.7 billion for open source AI models.
https://techcrunch.com/
3. Euronews. (2025). Chip giant ASML invests €1.3bn in French AI champion Mistral.
https://www.euronews.com
4.Les Échos. (2025). Mistral AI devient la première décacorne française avec 1,7 milliard levés.
https://www.lesechos.fr
5.aivancity. (2025). VivaTech 2025 : Mistral AI et NVIDIA partenaires pour une infrastructure souveraine.
https://www.aivancity.ai