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Et si nous avions déjà quitté Google sans le savoir ? Manifeste pour la fin annoncée des moteurs de recherche

Par Dr. Tawhid CHTIOUI, Président fondateur d’aivancity, la Grande Ecole de l’IA et de la Data

Sélectionné parmi les 25 personnalités mondiales les plus influentes dans le domaine de l’IA et des données par Keyrus (Janvier 2025)

Pourquoi ChatGPT enterre Google – le débrief audio

https://www.aivancity.ai/blog/wp-content/uploads/2025/05/The-Conversational-AI-Revolution-and-the-End-of-Search-Engines.wav

Le jour où la veste imperméable a tué le lien bleu

Paris, un samedi matin pluvieux. Lina tape « veste de randonnée imperméable noire, budget 50 € »… ou plutôt, Lina dit cette phrase à son téléphone. En quelques secondes, ChatGPT lui propose trois modèles exactement à sa taille, renseignement qu’il détient grâce à ses achats précédents, et précise qu’un quatrième n’est disponible que dans une couleur qu’elle n’aime pas. S’affichent aussi un tableau comparatif des délais de livraison, un lien direct vers le vendeur le moins cher et un rappel que son anniversaire approche, donc qu’un bon d’achat dort dans son portefeuille numérique. Aucune page de résultats, aucun bandeau jaune « sponsorisé », aucune friction. À la fin de la conversation, Lina n’a jamais vu le logo d’un moteur de recherche : elle a conversé avec un assistant, puis acheté. Ce geste anodin signe peut être la fin discrète d’une ère : le web ne sera plus un lieu à explorer, mais un interlocuteur à consulter. Le lien bleu, icône des années Google, vacille…

La fin du « pacte du clic » : le séisme silencieux

Depuis près de vingt cinq ans, notre navigation sur le Web s’appuie sur un contrat tacite : le moteur de recherche se présente comme un bibliothécaire zélé qui aligne des pages, les hiérarchise, puis nous laisse la responsabilité du choix. Nous cliquons, nous comparons, nous forgeons notre propre chemin ; les puissances numériques, elles, se contentent officiellement de classer. Cette division du travail, héritée de Google, a façonné l’économie de l’attention : le pouvoir d’influence grandissait à mesure que l’on grimpait dans la page de résultats, mais l’ultime décision demeurait entre les mains de l’usager.

L’arrivée de ChatGPT Search rompt brutalement ce pacte. L’assistant conversationnel ne se borne plus à lister ; il filtre, synthétise, argumente et recommande. En quelques phrases, il transforme l’acte de chercher en un geste de réception. Le temps du « clique‐et‐tu verras » cède la place au « voici ce qui te convient ». Et, dans cette bascule subtile, l’équilibre du pouvoir migre : celui qui filtre possède désormais la clef de nos décisions économiques, culturelles, voire politiques. Autrefois, le moteur distribuait la visibilité ; désormais, l’agent distribue des réponses hyper personnalisées et prescriptives.

Le Web, jadis territoire d’exploration, devient interlocuteur prescripteur. Nous ne cherchons plus ; nous nous faisons servir.

C’est en cela qu’il faut parler de révolution et non d’amélioration incrémentale. Comme l’imprimerie a déplacé le centre de gravité de la connaissance du cloître vers le lecteur, l’assistance générative déplace aujourd’hui celui de la décision, du chercheur vers l’algorithme. Ce qui bascule, ce n’est pas la vitesse ou la pertinence d’une requête ; c’est la structure même de l’autorité sur l’information. Tourner la page du moteur, au sens propre, revient à redessiner la carte du pouvoir numérique.

Trois basculements majeurs : la newtonienne du Web en marche

1. De la recherche à la réponse

Dans l’ancienne grammaire du Web, le moteur de recherche fonctionnait comme un panneau d’affichage géant : il collait des dizaines de liens sur un mur virtuel et laissait l’internaute se débrouiller avec sa « to do list ». Depuis ChatGPT Search, le rite du « scroll analyse clic » s’évapore ; la page de résultats se mue en dialogue continu. On ne butine plus de site en site, on converse avec un narrateur unique qui assemble déjà les morceaux du puzzle. Ce glissement supprime la micro fatigue cognitive, celle qui naissait à chaque changement d’onglet, et installe un confort trompeur : la réponse arrive prête à l’emploi, adaptée à chaque internaute, parfois assortie d’une comparaison de prix et d’un lien d’achat.

La métaphore s’inverse alors : si Google évoquait une bibliothèque dont les rayonnages infinis demandaient curiosité et persévérance, ChatGPT ressemble à un concierge de palace.

Il ne vous pointe pas vers les ouvrages ; il vous apporte le livre, ouvert à la bonne page, marque page fluo sur la phrase clé. Ce n’est pas un moteur plus performant, c’est un service d’intermédiation personnalisé, autrement dit, une activité totalement nouvelle qui déplace la création de valeur du côté de la recommandation et non plus de l’indexation.

Ce changement aurait pu demeurer anecdotique s’il n’avait, presque instantanément, embrasé les usages. Trois jours après son lancement mondial, la fonction « shopping » de ChatGPT traitait déjà plus d’ un milliard de requêtes hebdomadaires  : un raz de marée statistique qui confirme que la bascule n’est pas un frémissement d’initiés mais un choc de masse. Lorsque des millions d’internautes troquent la recherche active pour la réception guidée, ce ne sont pas seulement des habitudes qui mutent ; c’est la manière même dont l’information circule, dont l’intention d’achat se forme, dont le pouvoir économique se redistribue.

2. De la neutralité proclamée à l’intermédiation algorithmique

Pendant des années, les moteurs de recherche se présentaient comme de simples bibliothécaires : ils recensaient, classaient, laissaient l’usager circuler librement entre les rayonnages du Web. Avec l’arrivée de ChatGPT Search, cette posture d’apparente neutralité bascule. L’agent conversationnel n’indexe plus seulement l’information ; il oriente la trajectoire du regard. Lorsqu’un internaute formule une requête d’achat, les produits mis en avant sont puisés dans des flux structurés venant de géants comme Shopify, Amazon ou Zalando, puis triés par un raisonnement sémantique qui tient compte de l’historique, des préférences, de la disponibilité en temps réel et même de la saisonnalité.

Autrement dit, l’assistant devient médiateur commercial, véritable tour de contrôle invisible qui choisit quelles options franchiront, ou non, le seuil de notre conscience.

OpenAI jure que ses suggestions restent « sans publicité ni commission » ; le communiqué diffusé lors du lancement du 28 avril 2025 insiste sur la sélection « indépendante » des résultats. La promesse séduit, mais elle est fragile. À mesure que les volumes explosent (400 millions d’utilisateurs actifs en une semaine) la tentation de monétiser cet œil algorithmique grandira. Les observateurs l’ont déjà baptisée la porte d’or : un point de passage si précieux qu’il deviendrait naïf d’imaginer qu’aucune pression commerciale ne viendra jamais le déformer. Les forums Reddit ont aussitôt flairé le danger : « l’enshittification est inévitable », préviennent les internautes, allusion au sort d’autres plates formes jadis vertueuses et aujourd’hui saturées de promo.

Au delà de la peur d’un avenir « pay to recommend », se joue une question de souveraineté informationnelle. Lorsque l’agent capture l’intention d’achat avant qu’elle n’atteigne les marketplaces, celles ci perdent le pouvoir d’attirer le visiteur par leurs propres mérites.

Le débat n’est plus « qui possède les données ? » mais bien « qui écrit la première ligne de chaque désir ? ».

Bruxelles ne s’y trompe pas : après l’AI Act de 2024, les régulateurs européens planchent déjà sur les risques de discrimination et de concentration liés à « ces systèmes d’intermédiation à haut risque ». Tant que le code demeure opaque, la société délègue, presque les yeux fermés, le choix de ce qu’elle verra, et achètera, à un calcul confidentiel.

Ainsi s’opère le deuxième grand basculement : le Web n’est plus une place publique où chacun expose son étal et attire le chaland ; il devient une scène dont l’IA est la régisseuse, tirant rideau et projecteurs à sa guise. Pour les marques, la question cruciale n’est plus d’être trouvées mais d’être retenues par l’algorithme. Pour les citoyens, elle est plus vertigineuse encore : que perd on, collectivement, quand la curiosité humaine cède la mène à un filtre invisible ?

3. De l’affiche publicitaire au contrat à la performance

Pendant deux décennies, l’économie du Web a tourné sur le même engrenage : les enchères AdWords. Les annonceurs payaient pour apparaître ; ils payaient encore lorsque l’internaute cliquait. Ce « coût par clic » (CPC) a engraissé Google : plus de 175 milliards $ de revenus publicitaires en 2023 selon Statista, avec un clic moyen autour de 6 % dans les meilleures filières.

ChatGPT Search change radicalement la règle du jeu. Ici, l’annonceur ne verse rien pour être vu ; il rémunère après la vente réelle — un modèle « pay per conversion » calqué sur l’affiliation, mais placé pour la première fois au cœur même de l’expérience de recherche. OpenAI reste, pour l’instant, dans le registre « sans pub ni commission », rappelle Sam Altman, tout en se disant ouvert à des « tasteful ads » fondées sur un pourcentage de la transaction plutôt que sur l’achat de mots clés. En interne, la firme évoque déjà des taux de clics de 15 à 20 % sur les cartes produits, soit trois fois le rendement d’un lien sponsorisé traditionnel, un écart qui, à l’échelle d’un milliard de requêtes hebdomadaires, devient un séisme économique.

Pour l’utilisateur, la conséquence immédiate est la disparition du « brouillard publicitaire » : il ne voit plus d’encarts bariolés, seulement des recommandations fluides, insérées dans la conversation. Mais cette épuration visuelle a un revers : en asséchant la manne publicitaire qui irrigue blogs, médias et forums, elle menace tout un écosystème bâti sur le trafic issu des moteurs. Déjà, certains éditeurs constatent des chutes de 12 à 18 % de visites organiques dans les catégories « shopping guides » depuis l’activation mondiale de la fonction, un signal faible qui laisse présager une redistribution brutale des revenus. En d’autres termes, ChatGPT n’est pas seulement en train de remplacer la recherche ; il déplace la pompe à cash. Là où Google vendait la visibilité, OpenAI vendra peut être, demain, la conversion certifiée, prélevée à la source sur chaque acte d’achat.

Qu’adviendra t il du Web gratuit quand l’affiche aura disparu ? Qu’adviendra t il des médias, des blogs, des forums si le trafic n’arrive plus ?

La question dépasse la seule rivalité entre deux géants : elle engage la survie financière de l’information indépendante et, par ricochet, la vitalité même de l’espace public numérique.

Guerre des interfaces : le réflexe qui décidera du Web

Google n’a pas attendu les coups de boutoir d’OpenAI pour sortir l’artillerie. Depuis mars 2025, le groupe teste AI Mode, une greffe de son modèle Gemini 2.0 sur l’ossature du moteur historique. Objectif officiel : ré enchanter la recherche grâce à des réponses génératives multimodales. Dans les démonstrations, l’internaute obtient une synthèse illustrée avant même d’apercevoir les liens bleus. Mais la métamorphose avance à pas comptés : Google doit ménager ses 175 milliards $ de revenus publicitaires — dont 57 % proviennent des annonces textuelles, toujours facturées au clic. Amputer trop vite la page de résultats reviendrait à scier la branche qui nourrit l’arbre ; ralentir, c’est risquer de perdre l’utilisateur.

À cette équation économique se greffe une pression judiciaire. Depuis avril, le groupe affronte à Washington le procès remèdes qui doit fixer les sanctions du verdict antitrust de 2024. Chaque nouvelle fonctionnalité générative est passée au peigne fin des régulateurs : Google doit prouver qu’elle n’étouffe ni la concurrence, ni la diversité des sources.

Pendant que la firme californienne marche sur des œufs, OpenAI avance léger. Aucun inventaire publicitaire à protéger, aucun héritage technique à rallonger ; la start up peut remodeler l’expérience de recherche sans douleur cannibale. Le résultat est visible dans les usages : selon Bain & Company, 80 % des consommateurs américains ont déjà recours à un chatbot d’IA pour au moins 40 % de leurs requêtes ; une évolution qui pourrait priver Google de jusqu’à 25 % de trafic organique d’ici deux ans.

Autrement dit, la confrontation est moins technologique que culturelle : quel geste deviendra réflexe ? Saisir « www.google.com » ou « ouvrir un chat » ? Si le réflexe dialogue l’emporte, la suprématie de l’index pourra s’effondrer plus vite qu’aucune bataille de parts de marché ne l’avait fait pressentir.

Du SEO au CAIO : l’onde de choc invisible

À mesure que la réponse remplace le lien, c’est tout un pan de l’économie numérique qui vacille.

Première victime potentielle : le SEO. Optimiser une page pour la hisser « numéro 1 » dans Google n’a plus grand sens si l’assistant ne renvoie plus de classement mais une synthèse déjà digérée. Les agences parlent déjà d’un nouveau graal, le CAIO — Conversational AI Optimization. Il ne s’agit plus de bourrer un texte de mots clés, mais de structurer « des bases produits » propres, d’exposer des métadonnées lisibles par les LLM et d’ouvrir des API capables d’alimenter, en temps réel, le futur concierge numérique. Autant dire un chantier technique et philosophique : la visibilité ne se gagne plus auprès d’un algorithme d’indexation, mais à la table de négo d’un agent conversationnel.

Ce glissement pose une question moins technique que morale : qu’advient il du désir lorsqu’un tiers algorithmique l’anticipe si bien que nous n’avons plus qu’à acquiescer ? Hannah Arendt, la philosophe germano-américaine rappelait que la faculté de juger se construit dans l’effort de délibération.

Si l’IA pré‑mâche nos choix, le risque n’est pas seulement l’homogénéisation des goûts, mais une lente atrophie de notre faculté de préférer, la plus politique des facultés humaines…

À cela s’ajoute le péril de la « bulle marchande ». Lorsqu’un modèle maximise la pertinence personnalisée, il peut enfermer l’acheteur dans un tunnel prédictif où ne filtrent plus que les produits statistiquement probables. Découvrir un artisan outsider, choisir un objet qui nous surprend, exige alors un acte de rébellion contre la commodité. En prétendant élargir l’offre, le commerce conversationnel pourrait, paradoxalement, rétrécir la diversité du panier. Le Web prescriptif n’est pas neutre : il pousse, subtilement mais fermement, vers le centre de gravité des probabilités. Reste à savoir si nous accepterons ce confort comme un progrès… ou comme une nouvelle forme de tutelle invisible.

Quand la recommandation dévore la recherche : histoire brève des interfaces cannibales et éclats d’un futur immédiat

Chaque mutation du numérique s’écrit, au fond, de la même manière : une nouvelle interface promet de réduire l’effort, puis absorbe l’attention jusqu’à marginaliser l’outil qu’elle remplace. La carte routière a laissé place au GPS ; aujourd’hui 93 % des conducteurs américains se déclarent dépendants de leur guidage satellitaire et avouent qu’ils seraient « perdus sans lui ». La page d’accueil éditorialisée s’est fait dévorer par le fil social, qui monopolise désormais plus d’un tiers de notre temps en ligne, soit 2 h 23 min par jour. Demain, l’agent conversationnel pourrait bien achever le moteur de recherche : même logique d’économie cognitive, même reflux de notre autonomie d’exploration.

L’historien Milad Doueihi décrivait déjà la « civilisation du clic » ;
nous basculons dans la civilisation de la réponse.

Le phénomène n’est pas abstrait ; il se matérialise déjà dans nos gestes quotidiens, esquissant un avenir où le moteur disparaît derrière une fine couche d’orchestration algorithmique. Imaginez d’abord le conducteur pressé : au milieu de l’A6, il murmure « trouve moi une borne électrique disponible dans trente kilomètres et commande un café à emporter ». L’assistant réserve, règle, ajoute la station service comme point étape et ajuste le GPS sans autre formalité. Visualisez ensuite le dressing semi automatique : chaque matin, un miroir connecté échange avec ChatGPT, dresse un état des stocks de votre penderie, suggère des associations et planifie les retours éventuels ; plus besoin de « faire les boutiques », la boutique vient à vous. Enfin, transposons ce pouvoir au B2B : la centrale d’achats d’une chaîne de restaurants lance la requête suivante : « 10 000 barquettes biodégradables, format 750 ml, livraison en cinq jours, budget 12 000 € ». L’agent IA interroge en temps réel plusieurs fournisseurs labellisés, négocie les remises selon les volumes, vérifie les certificats, compare les délais et rédige automatiquement la commande pour signature numérique. En moins de trois minutes, l’approvisionnement est sécurisé, le numéro de suivi expédié : le service achats vient littéralement de boucler sa mission… en conversation.

Dans ces trois scènes, on cherche en vain la page de résultats. Le moteur n’a pas disparu par manque d’utilité ; il s’est dissous dans l’interface. Ce qui reste, c’est le prescripteur, une intelligence qui, forte de nos données, orchestre le monde afin que celui ci corresponde à notre requête avant même que nous l’ayons pleinement formulée. À la question « où allons nous ? », la réponse pourrait bien être : là où l’assistant aura convié notre désir.

Enjeux éthiques de l’assistance totale : entre opacité, dépendance et souveraineté

Plus l’agent conversationnel devient la porte d’entrée unique vers l’information et l’achat, plus un brouillard d’incertitude s’épaissit autour de lui. Premier nuage : l’opacité.

OpenAI montre ses prouesses mais reste silencieuse sur sa mécanique interne ; pire, plusieurs organisations adossées au groupe ont reculé sur leurs engagements de transparence, comme l’a révélé Wired en 2024. Or la confiance exige de savoir si une recommandation est spontanée ou teintée d’intérêts marchands. Les régulateurs américains l’ont compris : début 2025, le Washington State AI Task Force a placé la transparence tout en haut de ses priorités législatives, signe que la tension monte des deux côtés de l’Atlantique.

Vient ensuite la dépendance. En agrégeant notre historique de santé, nos dépenses et nos loisirs, un assistant couvre bientôt plus de terrain qu’un conseiller financier ou qu’un médecin de famille. Changer d’agent reviendrait, pour beaucoup, à subir une véritable amnésie numérique. Cette asymétrie nourrit la méfiance : selon Big Valley Marketing, 80 % des utilisateurs se déclarent réticents à faire confiance à une IA opaque. Pourtant, la promesse de commodité reste irrésistible et l’adoption continue de grimper.

Le troisième enjeu touche à la souveraineté. L’Union européenne ne cache plus son inquiétude : l’« AI Continent Action Plan » présenté en avril 2025 insiste sur la nécessité de « garantir l’autonomie stratégique des interfaces conversationnelles » et d’imposer une interopérabilité minimale entre agents concurrents. Car lorsque l’assistant capture l’intention d’achat avant qu’elle n’atteigne Amazon ou Google, il redistribue la carte du pouvoir économique…et politique.

Ce que cela change pour chacun de nous

Pour le consommateur, la promesse est alléchante : moins de clics, moins d’hésitations, tout servi sur un plateau. Mais cette efficacité « sans couture » menace la curiosité, ce muscle intellectuel qui s’entretient dans la déambulation. Se réserver un « droit à l’errance numérique » devient presque un acte d’hygiène mentale.

Côté entreprise, la visibilité se joue dorénavant dans les coulisses : il faut alimenter le cerveau de l’assistant avec des catalogues impeccables, des API robustes, des descriptions compatibles LLM. La bataille ne se livre plus sur la première page de Google, mais dans la pipeline de données qui alimente la recommandation. Les spécialistes du Conversational AI Optimization remplacent déjà les consultants SEO d’hier.

Enfin, pour la société, l’enjeu est structurel. Le Web gratuit reposait sur la rente publicitaire ; or le modèle « pay per conversion » de ChatGPT promet d’aspirer une partie de ces plus de 600 milliards $ de dépenses publicitaires mondiales. Si ce flux se détourne des médias, quelle économie soutiendra la presse, la culture indépendante ou même Wikipédia ? L’agent conversationnel, en prétendant nous simplifier la vie, pourrait assécher la place publique qui la rendait si riche. Le choix, désormais, n’oppose plus seulement confort et sécurité ; il pose la question de la vitalité même de notre écosystème informationnel.

Conclusion – Épilogue — Le jour où le clic s’est tu

Larry Page confiait jadis qu’un « moteur parfait » serait celui qui répondrait à la question avant même qu’on la pose. Il entrevoyait déjà la fin du fameux lien bleu, sans disposer de la brique manquante : une intelligence capable de générer des phrases, pas seulement de classer des pages. Deux décennies plus tard, OpenAI a glissé cette pierre dans l’édifice, et le puzzle s’est fermé avec le bruit feutré d’une révolution réussie.

Rares sont les révolutions qui se vivent sans barricades. Ici, tout semble fluide : nous parlons, l’IA répond, nous acquiesçons. Pourtant, à chaque requête convertie en réponse, c’est un pouvoir millimétré qui change de main — de l’explorateur humain vers l’architecte algorithmique. Le jour où Lina a commandé sa veste imperméable sans quitter son chat, une page, littéralement, s’est tournée…

La vraie question n’est donc plus « Google survivra t il ? » mais : acceptons nous que l’IA écrive le premier paragraphe de chacune de nos décisions ?

Tant que nous préserverons le droit de déconcerter l’agent, de scroller sans raison, de chercher pour le simple plaisir d’errer, la conversation restera un espace démocratique et non un couloir. À nous de rappeler, de temps à autre, que l’imprévu est encore le meilleur des moteurs.


Références

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